S’il y a bien un album qui nous marqués depuis la création (encore toute jeune) de Mots tordus et bulles carrées, c’est celui de Cyrille Pomès ( Moon dont vous pouvez lire la chronique ici )
Nous avions vraiment envie d’en savoir plus sur ce projet et, pour notre plus grand plaisir, Cyrille Pomès a accepté de prendre de son temps pour répondre à nos nombreuses questions.
Nous l’en remercions chaleureusement et nous sommes heureux de vous faire partager ce premier « entretien ».
Bonjour Cyrille, pouvez-vous nous parler de votre parcours pour aboutir à « Moon » ?
MOON signe pour moi un retour à l’écriture après huit années de bande dessinée de reportage, en collaboration avec d’autres chez Futuropolis, sur le terrain pour Arte ou la Revue Dessinée, ou dans l’adaptation de roman comme pour « Le fils de l’Ursari » (rue de Sèvres, 2018)
Les jeunes sont les personnages majeurs de vos trois derniers ouvrages : pourquoi vous intéressent-ils autant ?
Il n’y a rien de déterminé ou de conscient dans le choix de la jeunesse au centre de mes derniers livres.
Peut-être qu’à l’instar de la plupart des hommes, et pour citer Jacques Brel approximativement, « c’est à 40 ans qu’on comprend qu’on a passé sa vie jusqu’ici à courir après ses rêves d’enfant » ?
Dans « Moon », les collégiens sont plus vrais que nature. Comment avez-vous fait pour restituer leur langage mais aussi leur gestuelle ? Avez-vous des espions ?
C’est pour l’instant la chose que je m’explique le moins sur MOON, ce côté « authentique » que les adultes (!) me renvoient des ados.
Je n’ai pas d’enfant à la maison, je n’en côtoie pas non plus au quotidien…
J’imagine que, comme pour n’importe quel sujet que je souhaite aborder, j’ai mis mes curseurs d’observation, de curiosité et d’empathie au maximum à partir du moment où j’avais identifié ledit sujet.
Pour nous, plus qu’une histoire sur les réseaux sociaux, « Moon » parle de communication. Le téléphone portable n’est-il qu’un outil de votre scénario pour amener à des sujets de réflexion plus vastes ?
Plus qu’un outil de communication, le téléphone portable est devenu un moyen d’occuper en permanence son temps libre, ses loisirs, son attention et son corps.
Un moyen de fuir le vide qui nous guette dés que nous cessons de nous agiter, le vide et sa cohorte de peur et de réflexions métaphysiques quant à la vacuité de notre condition, de notre mortalité, etc.
L’idée ici était de faire ce cadeau du vide aux adolescents, un cadeau au premier abord empoisonné, angoissant, pour montrer au final que, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre d’eux, ils parvenaient à se réinventer.
Au final je ne suis pas certain que nous, adultes, aurions la même soif de le faire, la même énergie de recréer du lien, si on nous ôtait nos petits jouets de poche.
Quand nous avons vu Cosmos la première fois, nous avons cru reconnaître Orelsan : est-ce un hasard ?
C’est un hasard total, le physique de Cosmos m’ayant été inspiré par un gamin croisé au hasard d’une promenade il y a des années dans les Pyrénées Orientales, là où se situe MOON.
Pourquoi avoir choisi un village isolé comme cadre pour votre récit, plutôt qu’une grande ville ?
Ce sont ces décors de cité balnéaire hors-saison, que j’ai arpentés pendant des années et que j’ai fini par aimer, qui m’ont donné en premier lieu l’impulsion du récit.
J’y retrouvais, entre autre, l’ennui et le côté « no man’s land » désolé de la banlieue parisienne de mon adolescence… avec cet exotisme propre aux lieux qu’on découvre, et donc une curiosité plus grande.
Le lieu choisi allait déterminer le mouvement de mes personnages, leur rythme surtout ; les choses se sont faites dans cet ordre précisément.
Quelle est votre intention lorsque vous choisissez de construire votre récit en actes ? Peut-on y voir une référence théâtrale ?
N’étant pas amateur de théâtre, je pense plutôt à la construction en actes et en chapitres dans le roman.
Mes livres précédents (ceux que j’ai écrits) étaient aussi découpés en chapitres et en actes, les premiers offrant au lecteur des respirations, quand les seconds ont plutôt vocation à séparer l’avant de l’après «élément perturbateur» du récit.
Vous semblez vous amuser avec les mythes (celui de l’Atlantide en particulier) : qu’apportent ces références à votre récit ?
Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une habitude, mais c’est vrai que l’angle du mythe m’est venu dans MOON quand j’ai fait la comparaison entre la saison touristique opulente des plages méditerranéennes, et la cité arrogante déchue et engloutie sous les eaux.
Ça me permettait, je crois, d’introduire un recul sur une situation familière, une mise en abyme qui donnerait au récit une dimension plus atemporelle, plus agéographique, voire universelle.
Votre trait est tout de suite reconnaissable. Certains y voient du Conrad et d’autres du Matsumoto : quelles sont vos réelles influences ?
J’ai à l’inverse la sensation que mon trait a pas mal changé au gré des années et des huit livres que j’ai publiés, mais je ne suis peut-être pas le mieux à même de juger.
Conrad ou Matsumoto sont de très belles références (j’ai une tendresse particulière pour le second), néanmoins je ne fais pas de rapport d’influence direct avec mon trait.
J’ai passé mon enfance et mon adolescence à recopier un peu de franco-belge (Spirou, Lucky Luke) et beaucoup de comics, avec des auteurs comme David Mazzuchelli, Gene Colan, Sal Buscema, Jim Lee, Chris Bachalo, etc.
Parmi les influences récentes que je pourrais citer, aussi bien narratives que graphiques d’ailleurs, il y aurait Gipi, Daniel Clowes, Hugues Micol, David Prudhomme, Gabrielle Piquet… sans que je puisse pour autant dire qu’ils/elles m’influencent directement, encore une fois !
La couleur apporte une réelle ambiance à votre album : comment avez-vous travaillé avec Isabelle Merlet ?
La couleur apporte au récit une dimension qui m’était nécessaire, et qui n’aurait pas eu la même puissance si je m’étais « contenté » du noir et blanc : l’ambiance hors-saison.
Il nous a fallu du temps et beaucoup d’échanges avec Isabelle Merlet pour que je puisse de mon côté mettre des mots sur mes envies, et pour elle les identifier, puis de les sublimer, comme rarement des coloristes sont capables de le faire.
Encore un grand merci à Cyrille Pomès.
Et Lisez Moon !