Sans en être un fan absolu, j’affectionne tout particulièrement pour l’univers de Spirou et ses visions d’auteurs multiples et variées.
Celle d’Émile Bravo est considérée, pour beaucoup, comme une des plus passionnantes offerte au groom belge.
Spirou : un héros modulable
L’image de Spirou est fondamentalement liée à celle de Franquin.
Cependant, le personnage est passé entre les mains de nombreux auteurs, chacun apportant leur pierre à cet immense édifice.
Une particularité inscrits dans l’ADN de la série, et cela dès sa création par Rob-Vel, qui a vu défiler une valse de dessinateurs et scénaristes ( Jijé y a fait ses premières armes, Franquin y a connu le succès, Tome et Janry ont dépoussiérés le mythe etc, etc ..)
La collection « une aventure de Spirou et Fantasio par.. » pousse le concept encore plus loin en offrant une totale liberté dans des récits que l’on peut considérer comme « hors continuité ».
Emile Bravo a profité de cet espace de liberté en proposant deux récits inédits : Spirou le journal de l’ingénu puis L’espoir malgré tout.
Spirou : le journal de l’ingénu

Spirou : le journal de l’ingénu, écrit en 2008, est sans doute l’épisode le plus ambitieux de cette collection.
Le jeune garçon n’est alors qu’apprenti groom.
Il travaille à l’hôtel Moustique et tombe amoureux d’une jeune fille bien plus alerte que lui sur le monde qui l’entoure.
C’est d’ailleurs une constante chez Emile Bravo.
Ses personnages féminins s’avèrent plus matures et courageuses que leurs homologues masculins.
Mieke et Kassandra en sont de parfaits exemples. La première voulant grandir plus vite que son âge et la seconde participant activement au réseau de la résistance.
En plus de proposer ce qui pourrait s’apparenter à la première aventure du duo Spirou et Fantasio, Emile Bravo se sert d’un contexte historique, tranchant avec l’aspect faussement naïf de son trait.
La guerre gronde aux portes de l’Europe. Et, alors que Spirou n’en a pas conscience, elle va impacter son avenir et celui de son entourage.
Le journal de l’ingénu marque les esprits par sa densité, son intelligence et la richesse de son analyse.
Hommage ultime à la ligne claire, il multiplie les clins d’oeil à Tintin, sans pour autant dénaturer l’esprit « Spirou ».
L’album se termine sur la déclaration de guerre et un Fantasio en tenue de soldat prêt à en découdre.
De nombreux lecteurs ont espéré une suite à cet album.
Il aura fallu attendre 10 ans pour que leur voeu soit exaucé.
Celui-ci s’intitule L’espoir malgré tout.
Prix et récompenses
- Prix Essentiel – Angoulême – 2009
- Prix Peng de la meilleure Bd européenne (Allemagne) – 2009
- Prix des libraires de la bande dessinées – 2008
- Grand prix RTL – 2008
- Prix Diagonal du meilleur album – 2008
- Prix Saint-Michel du meilleur album Franco-Belge – 2008
Spirou : L’espoir malgré tout


Une suite ambitieuse

Prévu en 4 tomes, cette suite massive prévoit d’explorer les longues années de guerre du côté de la Belgique.
Reprenant l’ambiance qu’il avait déjà distillée dans les cases du Journal de l’ingénu, Emile Bravo réitère l’exercice avec succès et aborde avec justesse de nombreux sujets : collaboration, résistance (par les soldats mais aussi par le peuple à l’image de Monsieur Anselme) et les persécutions des juifs (à travers la destinée du peintre Felix Nussbaum), rien n’est laissé de côté.
Les camps de concentration seront abordés par le biais des conséquences humaines et psychologiques engendrées sur certain.es personnages.
La dernière partie a la lourde charge de conclure une saga qui, avec le journal de l’ingénu, aura balayé une période dramatique pour la Belgique (et le monde entier).
Après avoir montré le courage de nombreux résistants et leur organisation dans la troisième partie, il n’hésite pas à fustiger les résistants de la dernière heure tout en pointant les erreurs de jugement et les procès hâtifs liés à la libération.
Emile Bravo réussit, avec brio, à alterner les moments d’émotions avec une certaine légèreté où l’humour (Merci à un Fantasio assez exquis) trouve encore sa place
Réfléchir sur les erreurs humaines

Le quatrième tome, concluant définitivement cette saga, propose de nombreuses pistes de réflexions.
Certains dialogues résument bien l’analyse de son auteur sur le monde de l’après guerre.
Le premier concerne Monsieur Anselme.
L’État lui offre une ferme au Congo pour service rendu à la patrie.
Il répond, non sans un certain cynisme vis à vis de l’histoire colonialiste de son pays :
« c’est gentil mais … Maintenant qu’on s’est débarrassés de l’occupant, on n’va quand même pas devenir des colons »
Une autre scène montre l’évolution de Spirou tout au long de cette série.
L’ingénu est devenu, bien malgré lui, un adulte.
Sa vision du monde se révèle plus amère et toute la naïveté du jeune garçon semble avoir disparu.
Alors que Fantasio est persuadé de reprendre une vie normale, Spirou exprime des doutes sonnant , malheureusement, comme une mise en garde terriblement d’actualité :
» Non, non, non, la bête n’est pas morte, la bête est en nous … pour devenir humains, il nous reste beaucoup de travail. »
Un graphisme élaboré et faussement désuet

J’ai peu abordé la partie graphique.
Le jeune lectorat trouvera, sans doute, le dessin d’Emile Bravo un peu désuet mais il serait caricatural de s’arrêter à ce simple ressenti.
Adepte de la ligne claire, son style et son cadrage en gaufrier respecte à la perfection les codes classiques de la narration Bd.
On pourrait presque dire qu’il les sublime !
Il est tout de même impressionnant de voir la minutie de ses cases et la fluidité de ses enchainements.
Sa technique est juste parfaite et chacune de ses pages est une leçon qui est le fruit d’une grande réflexion en amont.
Analyse de couverture

Je prendrai comme exemple, non pas une planche mais les 4 couvertures de la série.
Ces dernières sont construites sur le même moule et résume en une seule illustration un des grands évènements de l’album concerné.
Si on prend les 3 premières, les soldats allemands sont au premier plan.
En groupe, l’envahisseur est déshumanisé et impose sa loi (à un Spirou, en arrière plan).
Ce procédé m’a évoqué le traitement du Très de Mayo de Fransisco de Goya, notamment dans l’opposition entre la partie éclairée et la partie sombre.

Un changement s’opère cependant sur la 4eme couverture.
Le soldat allemand est toujours dans la partie sombre mais il est désormais seul et entier. D’oppresseur, il devient oppressé, alors qu’en arrière plan, Spirou semble courir prendre sa défense.
Au final, la peur a changé de camp mais la violence reste la même.
Un propos qui vibre encore plus avec l’actualité oppressante de ces derniers mois voire années ..
En résumé

"Spirou : l'espoir malgré tout" d'Émile Bravo est une oeuvre magistrale, humaniste, drôle et émouvante.
Si le récit, au vu de son immensité, n'échappe pas à quelques longueurs, on retiendra avant tout la réflexion passionnante qu'Emile Bravo porte sur l'humanité, démontrant notre capacité à être aussi courageux que destructeurs.
Le style graphique d'Émile Bravo, tout en ligne clair, contraste avec un message en pleine résonance avec l'époque actuel.
À lire, pour ne pas oublier ...
Prix et récompenses
- Prix de la série – Angoulême – 2022 (Pour la 3eme partie)

Pour lire nos chroniques de La neige était sale et Le silence de la mer
