#DRCL (Shin’ichi Sakamoto)

À la fin du XIXeme siècle, le Demeter, un bateau russe, s’échoue sur les berges de Londres.
À l’intérieur, une dangereuse créature a massacré tout l’équipage avant de s’enfuir dans les ruelles sombres de la capitale.
Au même moment, quatre élèves d’un prestigieux établissement scolaire ridiculisent leur camarade Mina Murray.
L’un d’entre eux, Luke, ne s’imagine pas devenir la première victime de l’étrange visiteur.

Réactualisation d’un mythe

Entre beauté et horreur

Après avoir exploré le monde de l’alpinisme puis celui des bourreaux français, Shin’ichi Sakamoto s’attaque, avec #DRCL, à un classique de la littérature fantastique : Dracula de Bram Stoker.

Ainsi, il rejoint la longue liste des auteurs qui se sont frottés, avec plus ou moins de réussite, à ce personnage iconique.
De mon côté, je dois avouer que la lecture de l’œuvre originale m’avait fortement ennuyé.
A l’inverse, l’adaptation de Francis Ford Coppola m’a littéralement fasciné.
Ses jeux de mises en scène retranscrivaient à merveille le sentiment d’horreur qui transperçait au delà du personnage.
Accompagnée de sa version comics signée, excusez du peu, de Roy Thomas et Mike Mignola, on a la quintessence même d’une adaptation parfaite.
Pour moi, il était difficile de faire mieux.

The show must go on

Dracula a le sens du rythme

Pourtant, dès les premières pages de #DRCL, on est transporté par la vision de Shin’ichi Sakamoto.
Le manga est une adaptation assez mais si il reste plus ou moins fidèle au déroulement de l’œuvre originale.
Il reprend des éléments fondateurs du mythe : le naufrage du Demeter, une narration en forme de témoignage, certains personnages principaux et une ambiance rappelant les oeuvres consacrées à H.P. Lovecraft de Gou Tanabe.

Malgré tout, des détails amènent déjà à certaines digressions.
Le point de départ paraît pourtant classique.
A l’image de Guillermo Del Toro dans sa saga The Strain, la première apparition du vampire s’apparente plus à une infection où Dracula serait le porteur 0.
Une vision qui, sans être totalement originale, reflète parfaitement les inquiétudes actuelles de notre société.
Les principales innovations touchent au traitement des personnages, s’éloignant fortement de leurs modèles.
Sur Dracula, le mangaka va se montrer très ambitieux. S’il garde cette imagerie de de dandy, sa vision se veut multiple.
Sa transformation en chauve souris, à la limite du cosmique et son inspiration nous dirige vers un parti pris inattendu.
Le Dracula de Shin’Ichi Sakamoto a des allures de showman. Avec le recul, cette approche est déjà visible sur les premiers volumes mais elle explose à partir du tome 3.
Le personnage virevolte dans des scènes toutes plus fantasmagoriques les unes que les autres, sans pour autant annihiler l’effroi que peut susciter le personnage.
Il est clair que ce parti pris, assumé jusqu’aux traits de visage ou aux attitudes de Dracula, risque de faire grincer les dents mais on ne peut pas nier un certain culot.

Une société en profonde mutation

Mina Murray : une jeune fille luttant pour l’égalité

Le Dracula de Bram Stoker mettait déjà en scène une Angleterre en pleine mutation.
Lors de révolution industrielle, le monde allait de découverte en découverte.
L’apparition de cette créature, attirée par les lumières de la modernité, sonnait comme une mise en garde.

Shin’ichi Sakamoto reprend cette thématique, la transposant aux inégalités sociales, quitte à frôler l’anachronisme.
Sur Innoncent, le mangaka abordait déjà celle de la société d’Ancien régime.
Avec #DRCL, il confronte les évolutions scientifiques d’une société anglaise enfermée dans un machisme commun.
De ce point de vue, Mina Murray fait figure de résistante.
Éduquée, intelligente, battante et courageuse, elle lutte pour qu’on la considère autant que ses camarades de classe.
Et notamment Arthur, Jo et Quincey qui sont, à priori, des gosses assez antipathiques pour ne pas dire immoraux.
Chacun d’entre eux représentent l’image de la masculinité quelle soit américaine, européenne ou asiatique.
Cela n’enlève en rien certaines contradictions notamment en ce qui concerne les relations entre Arthur et Luke.
D’ailleurs, le caractère androgyne de Luke est une marotte récurrente d’un mangaka fasciné par la double identité sexuelle.
Mais au fond, cette imagerie s’allie assez bien avec un mythe, mixant avec délice effroi et érotisme.

Un dessin effroyablement beau

Des images d’une puissance rare

Ce qui frappe en premier lieu dans #DRCL, ce sont les dessins magistraux de Shin’Ichi Sakamoto.
Ayant découvert son travail avec Ascension puis Innocent, je retrouve certains ponts graphiques mais aussi idéologiques entre les deux oeuvres.

Cela peut paraitre incroyable mais avec #DRCL, le mangaka franchit un nouveau pallier vers l’excellence.
Si on est habitué à la maestria d’un dessin porté par l’élégance du trait, le mangaka frappe par la puissance de ses ambiances visuelles.
On ne peut pas adapter Dracula sans maitriser cette attirance malsaine pour l’effroi.
Et c’est exactement ce que l’on ressent à travers les pages de ce manga.
Il impose une vision très personnelle en nous montrant la naissance d’un monstre plus fantasmagorique que jamais.
Dans sa gestuelle, on retrouve une forme de danse mêlant ainsi l’élégance à la brutalité.
L’auteur multiplie les doubles pages d’une puissance rare, oppressantes et étranges.

Les personnages sont d’une beauté rare.
Si on peut regretter cette perfection physiologique, elle apporte une opposition avec l’horreur des actes auxquels nous assistons.
D’ailleurs, le design de Mina Murray tranche notamment en comparaison de Luke.
Ce traitement lui donne un côté « proche du peuple », symbolisant les valeurs qu’elle défend.

En résumé

#DRCL de Shin'ichi Sakamoto est une oeuvre d'une beauté étourdissante. 

En adaptant, à sa façon, l'oeuvre de Bram Stoker, le mangaka nous happe dans un récit sombre et angoissant qui n'en est, pour le moment, qu'à ses prémisses.

Tome après tome, le mangaka impose une vision très personnelle du mythe et notamment de Dracula, en lui donnant des allures de roi de la pop.

Un équilibre parfait entre son côté showman et l'effroi qu'il suscite.

On apprécie cette appropriation du mythe, mélange de respect et de modernité, à l'image d'une Mina Murray se battant pour être jugée à égalité avec la gente masculine.

Une oeuvre puissante qui ne laissera pas indifférent.

Pour lire nos chroniques sur Dracula et La lignée

Bulles Carrées

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