Martin Henri sort déconfit de son rendez-vous chez le cardiologue.
Il vient d’apprendre une terrible nouvelle : il n’a plus que quelques mois à vivre.
Bouleversé, il décide de partir avec sa femme au Québec pour découvrir les baleines.
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’après son départ, un autre Monsieur Martin avait aussi rendez-vous chez son cardiologue et il se pourrait bien que la mauvaise nouvelle n’ait pas été donnée à la bonne personne.
Savoir rire du pire
L’art du quiproquo
La loi des probabilités de Pascal Rabaté et François Ravard débute par un quiproquo plutôt classique.
Martin Henri est un homme tout ce qu’il y a de plus banal.
Il apprend que dans quelques mois son coeur va lâcher.
La nouvelle, aussi soudaine qu’inattendue, l’amène à repenser catégoriquement sa vie et à revoir sa notion du temps.
Ainsi, il démissionne et se lance dans un voyage d’exploration, accompagné de sa femme.
Cependant, il ne sait pas que son pronostic n’est pas le bon et qu’au final, il ne court aucun danger.
À partir de cette idée toute simple, Pascal Rabaté tire le fil d’un humour décalé par une situation permettant un nombre incalculable de digressions.
Et on sent que l’auteur s’amuse à bousculer la petite vie bien rangée de ce couple à coup de purs moments burlesques, tout droit sortis d’un film de Jacques Tati, à l’image de cette scène de glissade mémorable.
Ces situations totalement irréelles renforcent le côté décalé de cette intrigue.
La loi des probabilités ne joue pas en faveur du pauvre Martin qui passe de déconvenue en déconvenue et n’arrive pas à profiter du voyage comme il l’imaginait.
On se retrouve ainsi à rire de la malchance de ce petit bonhomme qui, rappelons-le, croit à sa disparition future.
L’ensemble donne un album réjouissant qui n’oublie pas d’être tendre avec son « souffre douleur ».
Un récit humaniste
Pascal Rabaté n’a pas son pareil pour nous peindre le portrait d’hommes et de femmes ordinaires avec une tendresse tout particulière.
Et La loi des probabilités ne déroge pas à cette règle.
Martin Henri, en tant qu’héros bien malgré lui de cette aventure, est particulièrement touchant.
Il embarque sa femme, sans rien lui dire de sa situation, et se lance dans un voyage qui sonne, pour lui, comme le dernier accomplissement d’une vie somme toute banale.
Il y a d’ailleurs beaucoup de cocasserie à le voir subir malchance après malchance avec une passivité et un calme presque olympien.
Au final, ses rares coups de gueule, il les garde pour le sémillant Séraphin Lanterne qui symbolise, d’une certaine façon, tout ce qu’il n’est pas.
Mme Henri est toute aussi attachante.
Au final, on ne sait que peu de choses d’elle. Professeur de philosophie, elle n’hésite pas longtemps avant d’accompagner son mari dans son périple.
Ce choix montre à lui seul tout l’amour qu’elle lui porte.
Elle reste souriante, un brin moqueuse, et symbolise, par certains égards, la « sagesse » du couple.
Jamais, elle ne remettra en doute les choix de son mari, l’épaulant de la première à la dernière page.
C’est d’ailleurs un des rares personnages dont ne se « moque » pas l’auteur, lui donnant ainsi une luminosité toute particulière.
Le quotidien selon François Ravard
Comme il nous l’avait déjà démontré avec Didier, la 5eme roue du tracteur, François Ravard est l’auteur parfait pour illustrer la nature humaine, telle que la voit son collègue Pascal Rabaté.
Ses illustrations sont des petits bonbons d’humanisme et de joie de vivre.
On y retrouve, à certains égards, la simplicité et la poésie si chère à un Sempé.
Les rondeurs de son dessin et les trognes hors du commun sont là pour accentuer la maitrise d’un trait au service des personnages.
Sur La loi des probabilités, il délaisse la couleur pour des aplats de gris, comme utilisés sur Mort aux vaches (aux côtés de Ducoudray).
Mais détrompez-vous, il n’y a rien de sinistre dans ce choix.
Plus une façon amusante de reproduire à sa manière l’ambiance des comédies burlesques en noir et blanc.
D’ailleurs, François Ravard montre un talent certain pour la mise en scène de gags absolument délicieux.
Son style, qui ne s’embarrasse pas de détails superflus, est l’exemple d’un travail efficace qui donne une impression de fausse simplicité.
Tout est naturel dans son dessin et dénote d’un véritable amusement à croquer la nature humaine dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus décalé.
En résumé
Derrière une certaine forme de classicisme, La loi des probabilités de Pascal Rabaté et François Ravard cache un humour burlesque délicieux et un humaniste emprunt de tendresse. Le périple de Mr Henri est un bel hommage aux comédies de Jacques Tati croqué avec délice par François Ravard au sommet de son art.
Pour lire nos chroniques de Nic Omouk et Le machin