Peu d’autrices jeunesse savent créer des portraits de jeunes femmes plus vraies que nature, tendres mais battantes, sensibles et faillibles mais solidaires. Jo Witek est de cette trempe. Depuis que j’ai découvert J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle, j’attendais avec impatience de retrouver ses récits. C’est chose faite, et même triplement faite, avec les Errantes, roman fantastique paru chez Actes sud junior.

Suzanne, Anne-Lise et Saskia

Dans un immeuble parisien un brin délabré ont trouvé refuge trois jeunes filles qui se sont isolées ici pour des raisons très différentes.

Suzanne a été mise à la porte par son père qui ne supporte plus son univers. Elle est une joueuse en ligne, une streameuse qui espère conquérir internet et vivre de sa passion.

Anne-Lise, quant à elle, a fait le choix de l’isolement pour des raisons mystiques.
Ses parents sont propriétaires de l’immeuble.
Et elle souhaite vivre une vie d’ascète solitaire, trop fragile pour le monde moderne et agité.

Enfin, Saskia est une jeune artiste estonienne, venue à Paris pour percer dans le monde des Arts. Elle espère taper dans l’œil d’un galeriste réputé.

Toutes les trois n’ont rien en commun, si ce n’est de loger dans des appartements contigus.
Mais des phénomènes mentaux étranges vont venir perturber leur quotidien et les unir malgré elles.

Les errantes

Des esprits errants de femmes vont en effet apparaitre dans la vie de Suzanne, Anne-Lise et Saskia. Venues du passé, ces femmes interviennent par des biais différents pour chacune. Sous forme d’un personnage de jeu vidéo pour Suzanne, d’une présence continuelle inquiétante pour Saskia et de voix pour Anne-Lise.

Ces âmes venues du passé semblent vouloir transmettre un message aux 3 jeunes filles mais elles provoquent surtout un effroi et des cauchemars qui leur font perdre le lien avec la réalité. Elles en viennent même à douter, au bord de la folie.

Plus encore, des stigmates vont apparaitre pour Suzanne et la psyché des 3 locataires sera mise à rude épreuve, entrainant même l’hospitalisation d’Anne-Lise.

Pour comprendre et sauver leurs esprits, elles vont devoir mener une enquête et trouver ce qui lie leurs apparitions.

Un roman fantastique et féministe

Jo Witek construit dans ce roman une histoire habilement ficelée en trois parties. En effet, on le comprend vite par l’écriture vive et percutante de l’autrice, ce qui importe ce sont les femmes, celles du passé qui ont subi des horreurs, mais surtout ces trois jeunes femmes du présent qui peinent à trouver leur place dans la société à cause de leur singularité et de leur envie de liberté. Et c’est la notion de sororité qui va les sauver.

Dans la première partie, leur solitude sont juxtaposées. Les lecteurs découvrent leur parcours de vie, leurs failles et leur solitude. Dans la deuxième, des liens se créent entre deux d’entre elles et une solidarité commence à se mettre en place. Enfin, dans la troisième partie c’est unies dans un même appartement qu’elles vont affronter chacune leurs démons, leurs cauchemars et reprendre leur vie en main.

Jo Witek nous offre encore ici des personnages féminins modernes et attachants qui se battent avec leurs moyens pour exister dans un monde cloisonné et parfois étroit d’esprit.

Suzanne essaye de s’imposer dans le monde encore très masculin du jeu vidéo et elle vit très librement ses relations amoureuses.

Anne-Lise, qui a fait le choix de la spiritualité, semble en dehors de son temps.

Saskia, quant à elle, remet en question sa création artistique suite à un rendez-vous destructeur avec un galériste peu scrupuleux. Elle éprouve également un amour secret pour sa professeure d’art, plus âgée qu’elle, et s’impose de taire ses désillusions à sa famille qui se sacrifie pour lui permettre de vivre en France.

Les femmes qui « entrent en contact » avec elles par le biais des apparitions, souvent effrayantes et perturbantes, vont leur permettre de découvrir qui elles sont en leur faisant « bénéficier » de leurs expériences malheureuses et douloureuses.

Pourquoi lire Les errantes ?

Jo Witek réussit ici avec brio à mêler plusieurs genres romanesques : le fantastique, le roman d’enquête et de société et même le récit historique. Le tout est porté par un style dynamique et moderne.

Le roman ravira les amateurs de sensations comme ceux qui aiment se laisser prendre aux pièges de la fiction.

Entrer dans cet immeuble avec Suzanne, Anne-Lise et Saskia, c’est s’unir par la lecture avec leurs interrogations, leurs doutes, leurs espoirs et leur combat. L’amitié prend une dimension forte et spirituelle, au-delà de la réalité. Jusqu’aux dernières pages, les destins s’écrivent et se révèlent, tissant les bribes du passé pour construire et éclairer le présent.

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