La biographie d’hommes célèbres revisitée par le prisme de l’humour de Manu Larcenet.
La ligne de front met en scène Vincent Van Gogh en pleine guerre mondiale
Une aventure rocambolesque de Van Gogh
La ligne de front
La guerre faire rage depuis quelque temps en France.
L’ennemi allemand prend l’avantage sur des hommes fatigués qui ne supportent plus ce massacre.
À l’arrière, le président de la République et ses généraux ne comprennent pas cet état d’esprit.
Pourquoi rechignent-ils tant à la tâche ? Ont-ils oublié qu’ils se battent pour la France ?
Morancet, un gradé, a une idée de génie : et si on envoyait un homme pour dépeindre avec précision et honnêteté la vie de ces soldats français ?
Et qui de mieux que Vincent Van Gogh pour s’atteler à cette tâche ?
Van Gogh, un peintre de caractère
On le sait tous, Vincent Van Gogh meurt en 1890 et n’a jamais connu la première guerre mondiale.
Mais dans le petit monde de Manu Larcenet, les choses ne sont pas exactement passées de la même manière.
Le peintre se la coule douce dans les environs d’Arles et continue de peindre ce qui le passionne le plus : les tournesols.
Tout le reste, c’est de la légende : L’oreille coupée, sa mort, sa dépression, du pur fantasme.
Ainsi, Larcenet ignore l’image du peintre frêle et met en scène un homme renfrogné, colérique qui ne supporte pas qu’on remette en cause ses choix artistiques.
Quant à la guerre, il la connait assez bien pour ne pas vouloir y retourner.
Mais a-t-il vraiment le choix ? Pas vraiment.
Soit il accepte, soit c’est le peloton d’exécution.
Cela fait bien longtemps que la justice a laissé place à l’autorité punitive.
Pour l’arrière, le rôle de Van Gogh est simple.
Ancêtre du journaliste de guerre, il rend compte par l’image de la réalité du front.
Ainsi, la peinture remplace la photographie délaissant le réalisme pour l’interprétation artistique.
Derrière ces anachronismes à répétition, Manu Larcenet réfléchit autant sur l’art que sur la guerre et multiplie les hommages et autres réflexions tranchées.
« J’aime beaucoup chromatiser les masses et structurer l’espace avec ces jolies feuilles vertes toutes tarabiscotées… Avec le jaune des pétales, ça en jette un maximum.»
— Vincent Van Gogh, Peintre de guerre
La drôle de guerre
Manu Larcenet n’aime pas la guerre.
Que cela soit de façon personnelle avec Presque ou en adaptant Le rapport Brodeck, l’auteur a, à plusieurs reprises, dénoncé l’horreur et la stupidité d’un tel acte.
C’est une nouvelle fois le cas avec La ligne de front, mettant en scène non seulement la violence des combats mais aussi la déconnection totale des hauts gradés.
C’est d’ailleurs par eux que commence le récit :
» Il y a quand même quelque chose que je ne saisis pas … Partout, nos soldats renâclent à l’effort, se plaignent, geignent comme des pédérastes .. C’est tout de même fâcheux sachant que nous avons une guerre à gagner ..
Un président de la république peinard
Larcenet nous dépeint ainsi un état major cynique qui ne pense pas en pertes humaines mais en victoires.
ici, l’être humain n’est qu’un outil de plus dont il faut réparer les failles.
Et pour cela, il faut tenter de les comprendre sans forcement se mettre à leur place.
Au final, ces hommes d’état ont déjà leur propre vision des choses et elle ne peut correspondre à celle du peintre, plus sensible à la nature humaine.
La description de cette guerre est, quant à elle, assez réaliste.
On commence à percevoir dans cet ouvrage les prémisses d’un style qui aboutira, des années plus tard, aux chefs d’oeuvre que sont Blast et le rapport Brodeck.
Au final, le seul homme à être en décalage avec le front, c’est Morancet, qui bien malgré lui se retrouve à accompagner le peintre.
Il est gradé mais n’est jamais allé sur la ligne de front. Il est formaté par cette vision de « planqué » qui l’empêche d’avoir la moindre compassion pour les hommes qui désertent l’armée.
La fin du récit laisse de côté le réalisme brutal de la guerre pour un symbolisme aussi effrayant.
La guerre n’épargne personne et elle restera toujours une énigme, même pour ceux qui en sont à l’origine.
Larcenet et moi
J’ai un peu honte de l’avouer mais il y a eu une époque, maintenant lointaine, où je n’aimais pas le dessin de Larcenet.
Je n’avais pourtant lu aucun de ses travaux mais, jeune lecteur de comics un peu monomaniaque, je trouvais son dessin particulièrement simpliste.
Vous savez, cette phrase toute faite qu’on dit quand on voit un Picasso : « Même moi, je pourrais faire la même chose. »
Je l’ai prononcée en regardant certaines planches d’un auteur dont je méconnaissais le talent.
Il a fallu attendre qu’un ami m’offre Le combat ordinaire pour que je comprenne enfin mon erreur.
De nos jours, avec des oeuvres comme Blast ou le Rapport Brodeck, il est quand même difficile de revenir sur le talent du dessinateur, qu’on aime ou pas ses histoires.
Mais, à cette époque, Larcenet était surtout connu pour ses oeuvres humoristiques et son trait faussement naïf.
Car c’est ça en fait le style de Manu Larcenet : un dessin faussement simpliste qui cache une technicité et une ambition complètement dingues.
Il suffit de jeter un simple coup d’oeil à Thérapie de groupe pour comprendre qu’on est loin d’avoir tout vu du talent de ce génial auteur.
Pendant longtemps, La ligne de front a été mon oeuvre préférée.
Sa vision de la guerre, la brutalité de ses images mixée à la naïveté de ses personnages fonctionnait à merveille.
C’est d’ailleurs toujours le cas encore maintenant et même si depuis le trait s’est affiné, la technicité a encore franchi une étape.
Cette oeuvre reste charnière dans la carrière d’un auteur exceptionnel.
En résumé
Bien avant la mode cinématographique du multiverse, Larcenet proposait, avec la série des une aventure rocambolesque de ..., des biographies déjantées, cyniques et intelligentes de personnalités historiques ou imaginaires importantes.
Dans cette série, La ligne de Front se démarque par son humour noir et le cynisme se moquant de la déconnection des hommes d'état face à l'horreur que pouvaient vivre leurs soldats.
La puissance du dessin s'affirmait dans des cases hypnotisantes, prémisses des futures oeuvres sombres de l'auteur.
Vision artistique, historique et sociale, La ligne de front fait partie des chefs d'oeuvre incontestables de Larcenet.
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