Mots Tordus et Bulles Carrées

Brussailes (Eléonore Devillepoix)

Je fais partie de ces lecteurs / lectrices qui aiment le livre-objet. Et c’est la qualité de l’édition du roman Brussailes d’Eléonore Devillepoix chez Hachette romans qui m’a d’abord attirée. Les illustrations de Katelina Boudriot Bazantovà, associées à un choix de couverture rigide et de papier fin, en font un ouvrage délicat. Pourtant, c’est bien une enquête et une aventure rudes, dans la cité bruxelloise, que vont vivre les trois personnages principaux de cette fable animalière.

Mission impossible aux pays des oiseaux

« A Brussailes, les vols d’oeufs n’étaient pas rares. On entendait souvent les parcs bruisser de pépiements horrifiés lorsque la nouvelle d’un tel crime se propageait d’un bosquet à l’autre. Pendant quelques jours, les spéculations allaient bon train sur l’identité de l’oiseau détraqué qui avait commis ce vol – même les rapaces ne s’attaquaient pas aux nids. »

L’affaire est sérieuse et le Parlement des Oiseaux est en émoi. Les vols d’oeufs se multiplient et touchent toutes les espèces. Le fait devient politique et il faut prendre une décision. En effet, les réflexions des volatiles du Parlement font porter les soupçons sur les perruches. Cette nouvelle espèce invasive ne siège pas au conseil des oiseaux.

Le Parlement décide alors de réunir un trio de choc qui mènera l’enquête sous 8 jours. Il devra rapporter des preuves de la culpabilité des perruches. Trois oiseaux d’espèces différentes vont donc être choisis : un pigeon, une corneille et un rouge-gorge.

Le premier, Jaboterne, est un paisible mais craintif pigeon qui aime par-dessus tout picorer les frites. Il n’a rien d’un héros ni d’un enquêteur hors pair. Le second est un rouge-gorge fonceur et belliqueux qui s’appelle Chantperdu. Enfin, on convoque une corneille un brin aigrie et pinçante nommée Sept pour finaliser le trio.

« – Un pigeon et un moineau. Bonjour la fine équipe.
– Je suis un rouge-gorge ! s’indigna le rouge-gorge en gonflant sa poitrine pour souligner la tache vermillon qui le démarquait des autres passereaux.
– Tout ce qui est plus petit qu’un étourneau, pour moi, c’est un moineau, coupa la corneille. Autrement dit, un piaf complètement inutile si on se retrouve à devoir affronter les perruches. Si on ajoute à cela une espèce insignifiante comme les pigeons… »

Les trois oiseaux vont donc devoir apprendre à collaborer et, progressivement, à se faire confiance pour mener à bien leur mission. Mission périlleuse puisque, au-delà des perruches, ce sont les rapaces, friands des-dites perruches justement, qui vont mettre des bâtons dans les roues de cette équipe a priori mal assortie.

Du rififi chez les volatiles

Le roman d’Eléonore Devillepoix est non seulement une aventure mouvementée et une enquête périlleuse mais aussi une fable qui aborde des sujets de réflexions divers tels que l’intolérance, les discriminations ou la religion (oui, oui, même les oiseaux s’interrogent sur l’existence d’un esprit supérieur).

Les chapitres sont courts et leurs titres accompagnés d’une phrase « apéritive » qui intrigue et donne envie de lire l’étape suivante.

« Où l’on apprend ce qui est arrivé à Chantperdu et où l’on devise sur l’hérédité » ou « Où Jaboterne découvre à ses dépens que, dans la vie, il vaut parfois mieux être perché »

Cette structure typique des romans du XIXe apporte un petit côté classique, que renforce l’utilisation des notes. Ici, elles ne sont pas placées en bas de page mais intégrées au texte et offrent de petites perles d’humour et de réflexions philosophiques.

Exemple d’un note pour l’adjectif « prometteuse » (à propos d’une corniche) :

« 40- Elle était en effet maculée de fientes blanchies par le dessèchement. Or, c’est un fait bien connu qu’un passage encrotté est un passage sûr. Les oiseaux sont d’ailleurs convaincus que les humains leur ont piqué cette signalétique pour peindre de traces blanches les passages piétons. »

L’histoire est donc enrichie de tous ces détails que l’autrice parsème dans son récit mais aussi des illustrations en noir et blanc de Katelina Boudriot Bazantovà.

On s’attache très vite aux personnages aviaires et l’on découvre avec tendresse l’histoire de chacun, au fur et à mesure des péripéties.

Pourquoi lire Brussailes ?

Brussailes est donc un roman très original par le mélange des genres qu'il propose à ses lecteurs, à la croisée de la fable animalière et du récit d'enquête, du roman d'aventure feuilletonnant et de la chronique urbaine. 

Le vocabulaire, précis et recherché, est associé à des illustrations et des notes de pages vivantes et souvent drôles.

Enfin, les personnalités de nos petits héros à plumes et leurs réflexions sur la vie et sur la société offrent une densité et un regard original sur nous, les humains. A la manière d'une Ferme des animaux de George Orwell, on pourra lire ce roman avec parfois le recul ironique des animaux sur l'espèce humaine.

Déjà autrice d'un roman de fantaisie intitulé La Ville sans vent, Eléonore Devillepoix semble ici prendre beaucoup de plaisir à narrer les aventures rocambolesques de nos trois oiseaux.

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Mots tordus

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