Mots Tordus et Bulles Carrées

Le château des animaux (Xavier Dorison/Felix Delep)

Pour une raison inconnue, les hommes ont déserté le château, laissant les animaux seuls maîtres de leur destin.
Si les débuts sont propices à une ferveur démocratique, très vite les puissants prennent le pouvoir.
Ainsi le président Silvio et sa milice de chiens imposent leur loi à une population animale qui n’a d’autres choix que travailler pour assouvir le bien être d’une minorité.

Mais avec le temps, les esprits s’échauffent et une résistance se mobilise.

Revisite d’un classique de la littérature

Le dur labeur des animaux

Avec le château des animaux, auquel le titre fait clairement référence, Xavier Dorison se réapproprie l’idée de la fable animalière si chère à George Orwell.
Et en effet, après s’être attaqué à la suite de L’île au trésor avec John Long Silver ou proposer une version Viking de Moby-Dick avec Asgard, l’auteur s’intéresse à un nouveau monument de la littérature.

Comme pour la ferme des animaux, Xavier Dorison met en scène une société animale dirigée par un despote qui n’hésite pas à user de violence pour imposer ses règles.
George Orwell critiquait la dérive du régime communiste de Staline ainsi que toute forme de tyrannie (ce n’est pas pour rien que le cochon qui symbolise Staline s’appelle Napoléon).
Xavier Dorison vise un autoritarisme plus actuel où une minorité exploite la majorité pour des désirs futiles.

Le Président Silvio est un taureau colossal qui use de sa puissance pour imposer sa loi sur les espèces les plus « faibles ».
Son goût immodéré du champagne en fait un tyran « capitaliste » obsédé par la richesse et le luxe, prêt à pactiser avec le « diable » pour obtenir ce qu’il veut.
Pour cela, le taureau abuse de son peuple avec l’aide d’une milice de chiens faisant régner la terreur à coups de crocs
La scène d’exécution qui ouvre le premier tome, puissante et choquante à la fois, montre comment le contrôle est obtenu par une ambiance de terreur.
Ils sont résignés et aucune once de rébellion ne pointe son nez.
Maltraité(e)s, rabaissé(e)s , sous payé(e)s (voire non payé(e)s), tous subissent leur tâche ingrate et n’en retirent aucune récompense.
Pire, la république punit la moindre des erreurs, preuve ultime de faiblesse.

Mais Silvio est-il aussi puissant qu’il le prétend ?
Comment obtient-il les faveurs de sa milice ? A qui doit-il vraiment son pouvoir ?
Derrière un tyran se cache souvent quelqu’un de plus puissant.

Résister face à la tyrannie

Le tyrannique Silvio

Dans l’avant-propos du premier tome, Xavier Dorison explique son objectif.
Alors que George Orwell a expliqué les mécanismes de la dictature, le scénariste propose de s’intéresser à ceux qui résistent.
Une résistance pacifique qui s’interdit la moindre violence.
Prenant exemple sur Gandhi ou Martin Luther King, il démontre que, dans l’histoire, des hommes et des femmes seul(e)s ont eu le courage de s’opposer à des régimes ou des politiques autoritaires.

Dans le château, cette agitatrice est une chatte : Miss Bengalore.
Au début, comme tous ses camarades, elle se laisse exploiter par le régime.
Veuve, elle travaille d’arrache pied pour apporter une maigre pitance à ses deux chatons.
Son seul soutien, elle le doit à une oie qui n’a pas la langue dans sa poche.
Et pourtant, par les circonstances des évènements, elle deviendra la cheffe d’une résistance prenant pour symbole une marguerite.
Cette simple fleur va mettre en rage le taureau qui n’aura de cesse d’annihiler cette poche de rébellion.
Lui, n’hésitera pas à user de la force mais elles ne mettront pas à mal la ténacité de Miss B et du peuple, de plus en plus nombreux à la suivre.

Mais résister est difficile.
Il faut une véritable force de conviction pour ne pas céder aux attaques continuelles.
Certains persistent, d’autres abandonnent ou en paient le prix …
Le combat demande des sacrifices que tous ne sont pas prêts à prendre.

Illustrer le règne animal

Miss B (nouvelle approche)

Impossible de parler du château des animaux sans mentionner l’extraordinaire travail de Felix Delep.

A l’instar d’un Juanjo Guarnido, le dessinateur n’a pas son pareil pour croquer des animaux plus vrais que nature.
La gestuelle de chaque animal est reproduite dans ses moindres détails, rendant cette société animale parfaitement crédible.
Sa galerie est expressive, attachante voire effrayante suivant les cas.

La narration est fluide et parfaitement maitrisée avec des cadrages inventifs notamment sur le tome 3.
On notera d’ailleurs que le style du dessinateur évolue à la fin du tome 2 et notamment sur le dernier tome.
Plus arrondi, moins appuyé en terme d’encrage, il amène de la douceur et une certaine fluidité à son dessin.
Cependant, ce qu’il gagne en douceur, il le perd en puissance.
La matière qu’il amenait avec son encrage manque à certains personnages, notamment à Silvio qui paraît plus jeune et beaucoup moins impressionnant.

Reste que les décors sont toujours aussi magnifiques et qu’un soin tout particulier a été apporté aux couleurs.
Les tonalités amènent une ambiance tantôt chaleureuse, tantôt glaciale, comme toute la partie en hiver sur le tome 2.
Enfin, comment ne pas s’émerveiller devant la beauté de ses couvertures.
Entièrement réalisées en numérique, ce sont de véritables tableaux qui résument toute la puissance de cette série.
Un véritable travail d’orfèvre.

En résumé

Le château des animaux réussit le pari de prendre le relai du roman de George Orwell.

Alors qu'ils ont une approche commune des régimes autoritaires, le scénario de Xavier Dorison magnifiquement illustré par Felix Delep rend avant tout hommage à ces femmes et ces hommes qui prennent le risque de s'opposer aux inégalités et aux injustices des sociétés autoritaires.
S'il y a une morale à retenir, qu'elle soit simple : "Résistez!"

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