Mots Tordus et Bulles Carrées

Hoka Hey! (Neyef)

Georges, jeune indien élevé de force par un révérend, se voit contraint de suivre la bande qui a assassiné son « tuteur ».
Ce trio, formé de Little Knife, un chef attaché aux traditions des Lakotas, No Moon, une jeune indienne dont le visage reste caché par un bandeau et Sully O’Reilly, l’intrus irlandais, embarque le gamin pour un long voyage.
Cependant, un mercenaire, dans la pure traditions des western, les prend en chasse.

Un western classique dans sa variation moderne

Un moment impromptu

Au vu des nombreux travaux de Neyef au sein du Label 619, on peut s’étonner de le retrouver sur un genre aussi balisé que le western.
Pourtant Hoka Hey ! sonne comme une véritable lettre d’amour.
De l’imagerie caricaturale du cowboy contre les indiens à la critique historique et sociale de l’Amérique, le western a démontré, sur de nombreux médias, sa complexité et sa richesse.
Et Neyef l’exploite avec justesse et émotion.

Cependant l’auteur ne cherche pas à bousculer les codes établis.
Au contraire, il les respecte et construit son récit sur une base assez classique de vengeance.
Neyef semble ravi de lancer ce petit groupe dans les vastes territoires de l’ouest américain, fuyant un adversaire dont ils ignorent la présence.

On ne sera pas surpris de la tournure que va prendre l’intrigue mais l’intérêt d’Hoka Hey ! n’est pas vraiment à rechercher ici.
Plus qu’une course poursuite vengeresse, c’est un récit initiatique qui nous est conté.
Celui d’un jeune enfant qui va redécouvrir des racines qu’on lui a trop longtemps cachées.

Vivre entre deux mondes

Western et décors de l’ouest américain

Deux visions qui s’opposent

Hoka Hey !, c’est tout d’abord deux visions qui s’opposent.
Celle de George découle de l’éducation que le révérend lui a apportée.
Elevé à travers les valeurs de l' »Amérique blanche » (religion et nation), il ne discute pas sa position.
Il pense même l’améliorer en devenant médecin mais ne comprend pas que sa couleur de peau restera un frein.

Celle de Little Knife est plus traditionnelle.
Il suit avec un profond respect les règles de vie de son peuple et n’aura de cesse de les défendre.
Il reste libre de ses choix, même s’il essaie de lutter contre une colère qui le ronge de l’intérieur.
D’ailleurs, quand il rencontre George, il ne voit en lui que le rejet de ses traditions : un indien devenu blanc à l’intérieur.
Mais avec le temps, il va, de façon subtile, amener le jeune garçon à redécouvrir ses racines et la culture de son peuple.
A travers cette nouvelle relation en construction, Neyef revient sur la place de l’indien dans l’histoire américaine.

George ne cessera de lutter, jusqu’à la fin, entre l’éducation qu’on lui a prodiguée et celle que Little Knife.
Deux voies opposées, presque contre nature : le vagabondage face à la sédentarisation, la nature face à la ville, tuer ou soigner…
Et c’est le destin qui l’amènera à choisir ce qu’il deviendra.

Une famille de substitution

Georges, qui n’a jamais connu sa famille, va trouver à travers ce petit groupe un semblant de cellule familiale.

Si Little Knife joue le rôle d’un père, No Moon, par sa douceur et son écoute, devient en quelque sorte sa mère de substitution.
L’indienne a un rapport plus complexe avec son passé.
La violence qu’elle a connue, elle ne la doit pas qu’aux blancs mais aux hommes en général.

Sully fait figure d’oncle un peu excentrique.
En tant qu’irlandais, il se sent plus proche de Little Knife et No Moon alors qu’à priori, ils n’ont rien en commun.
D’une certaine façon, lui aussi est attaché à ses traditions (notamment culinaires) mais ne dénigre aucunement celles des autres.

Au final, que ce soit par leur couleur, leur nationalité ou leur sexe, ils sont liés par leur rejet des normes sociétales américaines.

Un western époustouflant

Classique du western : duel au pistolet

Neyef n’est plus vraiment un débutant et on est guère étonné de le voir assurer, avec talent, toute la partie graphique.

A travers ses dessins, on retrouve tout ce qui fait la majesté des bons westerns.
Une narration implacable faite de scènes percutantes mais aussi de moments de silences où les personnages s’épient avant d’agir.
Les décors sont majestueux et parfaitement rehaussés par une gestion irréprochable de la lumière.
Ceux-ci ont d’ailleurs une grande place dans le récit, comme un cinquième membre de la bande.

Malgré tout, Hoka hey ! marque une véritable évolution dans le travail de l’auteur.
Moins brutal qu’à son habitude, son trait est plus posé, à l’image de couleurs, volontairement sobres, et loin des excès de trames et autres effets esthétiques.

Neyef se montre sous un jour plus assagi avec un traitement de la violence toujours présente, mais moins excessive, et donc plus percutante.

En résumé

Hoka Hey ! est un merveilleux hommage au western "moderne" américain.
Si le scénario reste classique, il met en avant des personnages liés par leurs "différences", libérée d'une société qui ne les accepte pas.

Le trait de Neyef, tout en sobriété, nous émerveille autant par sa narration que par la retranscription de l'ampleur des plaines américaines.

Sensible et émouvant, Neyef frappe fort et juste.

Prix et récompenses

  • Prix Bdstagram 2022 – Catégorie Meilleure Bd Franco-belge 2022
  • Angoulême 2023 – Prix des libraires Canal Bd

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