Mots Tordus et Bulles Carrées

Les messagères (Christophe Lambert)

Il y a de cela quelques années, je découvrais grâce à l’album « La dame des livres » de Heather Henson et David Small, l’existence des bibliothécaires itinérantes au coeur des grands états américains. Ces « messagères » parcouraient, au début du XXe siècle, des centaines de miles pour livrer et échanger des livres de tous genres avec les populations les plus éloignées, vivant dans des lieux parfois difficiles d’accès. C’est une de leur histoire que Christophe Lambert met en scène dans son roman « Les messagères » aux éditions Slalom.

Une mission périlleuse

Nettie est une jeune femme noire en fuite. Avec sa jument Bluebelle, elle traverse le Kentucky pour mettre le plus de distance possible entre son passé douloureux dans le sud ségrégationniste et un avenir incertain. En effet, elle a tué (par légitime défense) un homme blanc dans le domaine dans lequel elle était employée. La famille de ce dernier a lancé à ses trousses deux chasseurs de prime. Toujours sur ses gardes, elle se méfie des autres et ne donne pas sa confiance facilement.

Or, son chemin va croiser celui d’une femme morte accidentellement. Elle s’appelait Frances. Elle faisait partie des messagères réunies par le révérend Benton Deaton pour aller porter des livres aux habitants isolés mais désireux d’accéder à la lecture (des chercheurs d’or solitaires, des familles solitaires et des mineurs venus d’Europe).

« – Ce service existe depuis maintenant deux ans. Il a été créé à l’initiative du président Roosevelt et de son épouse. Mrs Roosevelt a fait beaucoup pour lutter contre l’illettrisme, vous savez ? »

Alors qu’elle accompagne le révérend et l’amie de Frances, Rosie, pour identifier et ramener le corps, elle se trouve mise à contribution pour prendre sa suite au sein de la congrégation. Accueillie, nourrie et logée, Nettie ne peut refuser cette proposition… même si elle ne sait ni lire ni écrire.

Dès lors, les lecteurs vont suivre cette jeune femme noire qui parcourt le Kentucky et ses décors impressionnants mais aussi dangereux pour apporter des livres aux adultes et aux enfants. Le tout en pleine crise des années 30.

Et les chasseurs de prime sont tenaces et n’auront de cesse de la traquer. Même dans cette nouvelle vie qu’elle construit au coeur de la nature, avec sa jument et sa nouvelle famille.

Une femme libre

Les messagères est un vrai grand roman d’aventure.

D’abord par ses paysages fabuleux, faits de montagnes, de forêts et de rivières. De loups aussi. Chaque chapitre fait naitre des images de nature sauvage et puissante qui emportent, comme un souffle. Au rythme des chevauchées de Nettie et Bluebelle.

« Les sommets enneigés culminaient au loin, chatouillant les nuages de leur cime. On distinguait la chaine des Appalaches par-dessus l’océan vert des forêts. Filtrés par les feuillages, les rayons du soleil dessinaient une mosaïque de lumière dentelée sur le tapis de fougères et d’aiguilles de pin. »

Ensuite par ses personnages attachants et tellement humains. Evidemment, avec l’héroïne principale que l’on suit, on partage les doutes et les craintes. On perçoit, à travers ses yeux, le poids de la ségrégation (même si celle-ci a été surtout mise en place dans les états du sud, d’où vient Nettie) mais aussi celui des joies de la lecture. On découvre également les habitants de cet état rural et montagnard. Angus l’orpailleur, tenace mais si ouvert d’esprit, ou Andrei le mineur, dont Nettie va tomber amoureuse. Et les autres bibliothécaires itinérantes : Rose, Rachel et Hillary. Ou encore Mittie, qui vit avec le révérend Deaton et dont la rudesse se métamorphosera en un attachement profond.

Enfin, la traque de Nettie par Nathaniel Wentworth et son acolyte indien apporte une tension supplémentaire et procure des sensations fortes tant l’ennemi est acharné. La grande force de ce roman est donc d’avoir su donner chair à un personnage à la croisée des chemins et des époques aux Etats Unis. Nettie, par ses origines noires, permet de poser un regard incarné sur les réactions des habitants de cet état isolé et assez pauvre, mais aussi sur sa propre rédemption. Peut-on vivre une nouvelle vie au coeur d’une communauté dont on est si étrangère ?

Ce roman redonne confiance en l’être humain qui peut, après avoir commis une erreur, se rattraper et ouvrir sa porte et ses bras à une femme vraie et libre, qu’on avait auparavant mal jugée.

Pourquoi lire Les messagères ?

Par son écriture fluide et pleine de souffle, Christophe Lambert nous transporte aisément dans les grands espaces américains des années 30. Il nous fait vivre, aux côtés de Nettie, une aventure humaine historique et vibrante, empreinte d’émotion et de suspense. La lecture de ce roman se vit comme la projection d’un grand film d’aventure américain. On en prend plein les yeux et le coeur ! Une déclaration d’amour aux livres et aux bibliothécaires en prime.

COMMANDER SUR

Mots tordus

Pour lire nos chroniques sur Hoka Hey ! et Sans foi ni loi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Aller au contenu principal