Elliot, 9 ans, est le seul rescapé du massacre de sa famille.
Interrogé par la police qui cherche à comprendre ce qui s’est passé, le jeune garçon , encore sous le choc, ne semble avoir gardé aucun souvenir.
Mais a-t-il réellement oublié cette soirée ou pense-t-il simplement que personne ne prendrait au sérieux son histoire de croquemitaine ?
Récit fantastique haletant
Les jeunes, plus on vieillit, plus ça agace.
Extrait de la préface de Denis Bajram
Remodeler les mythes de l’enfance
L’intrigue de Mathieu Salvia part d’une idée toute simple.
Et si les peurs irrationnelles de nos enfants avaient un fond de réalité ?
Elliot a justement ce genre de croyance.
Il est persuadé qu’un croquemitaine a élu domicile dans la maison familiale et il est effrayé par cette présence.
Ses parents ont essayé de le rassurer. En vain.
Or, un jour, cette peur devient réalité.
Mais pas comme on l’imagine.
A l’instar d’In Memoriam, le scénariste aime nous emmener là où on ne s’y attend pas.
Et alors que l’on pensait que le danger viendrait de l’intérieur, il surgit de l’extérieur.
Très vite, le fantastique prend le dessus.
L’agression, brève et violente, plonge Elliot dans un monde qu’il imaginait mais dont il ignorait la réelle existence.
Avec intelligence et inventivité, Mathieu Salvia emprunte les mythes liés aux peurs enfantines et développe sa propre mythologie.
Les Croquemitaines ont toujours existé.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils sont organisés autour d’un chef et d’une histoire propre qui a évolué avec le temps.
Et c’est là tout le problème.
Elliot , sans le savoir, se retrouve au milieu d’un conflit de générations. Son Croquemitaine, le père-la-mort, est un ancien qui protège le jeune garçon face à ces jeunes congènéres » sans foi ni loi ».
Le jeune et l’ancien
Elliot devient une proie.
Protégé par le Père-la-mort et son cauchemar (un animal de compagnie un peu particulier), ils n’ont d’autre choix que de fuir pour survivre.
La course poursuite est haletante et ne laisse aucun temps mort pour nos personnages.
Leurs poursuivants sont non seulement persévérants mais déterminés à éliminer le dernier des Anciens et se régaler de son petit protégé.
La tension est palpable tout au long de l’album et ne redescend qu’à de rares moments.
Des instants qui permettent à Mathieu Salvia de développer une relation attachante entre Elliot et le Père-la-mort.
D’une certaine façon, tout les oppose.
Le garçon est à l’aube de sa vie alors que le Croquemitaine s’approche plus de la fin.
Elliot est innocent et fait face de façon brutale à la violence alors que le Père-la-mort a renié cette agressivité pour rechercher la paix.
Ils sont chacun à un croisement qui explique pourquoi un croquemitaine protège ce qui devrait être sa proie.
Elliot est aussi très attaché au cauchemar du Père-la-mort.
Symbole de la noirceur et de la violence du croquemitaine, il devrait être conditionné mais
le jeune garçon ne s’arrête pas à cette nature première.
En cherchant à apprivoiser l’animal, il adoucit son protecteur.
Un dessin prometteur
Ceux qui connaissent le travail de Djet ne seront pas surpris : ses planches ont une sacré patate.
Proche d’un Matteo Scalera, sa mise en page est dynamique voire explosive rappelle par certains aspects les codes du comics notamment dans son utilisation de cadrages ciselés.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que, dans sa première version en 2 parties, ce récit ait été édité sous le label Glénat Comics.
Malgré tout, son travail sur Croquemitaines est légèrement différent de celui sur In Memoriam.
Bien que Croquemitaines soit plus ancien, le dessin de Djet reste solide et maitrisé.
Pourtant ses pages se démarquent par une fougue quasi viscérale que l’on retrouve dans ses couleurs et dans une moindre mesure, son encrage.
En effet, la colorisation use (voire abuse) d’effets qui amènent de la matière mais aussi une ambiance qui lie l’ensemble de l’album.
Si , comme le fait remarquer Denis Bajram dans sa préface, cela ne nuit aucunement à la lisibilité, on peut malgré tout regretter que celle-ci étouffe un peu l’encrage du dessinateur.
Ce qui est d’autant plus dommage que l’on sent un réel travail à ce niveau.
Pour les curieux (et les chanceux), on ne peut que conseiller la version noir et blanc qui donne un réel aperçu de sa technique.
Au final, Croquemitaines montre les prémisces d’un style en devenir, avec ses défauts et ses qualités mais surtout une sincérité et une force qu’on aimerait retrouver un peu plus souvent.
En résumé
Croquemitaines de Mathieu Salvia et Djet est une bd fantastique à l'ambiance pesante et au rythme effréné. Le dessin de Djet insuffle une puissance graphique à une intrigue haletante et passionnante de bout en bout. En prime, l'intégral n'est franchement pas cher donc il serait dommage de s'en priver.
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