Mots Tordus et Bulles Carrées

Land (Kazumi Yamashita)

Sutekichi vit dans une communauté encerclés par 4 Kamis, dieux protecteurs mais omniprésents.

Alors que sa femme vient de mourir en donnant naissance à des jumelles, la coutume lui impose de sacrifier l’une d’entre elles pour préserver la survie du village.
Après moult hésitation, il fait son choix et l’abandonne dans la forêt en lui laissant un prénom : Anne.
Ne supportant pas cet acte, le père de famille se crève les yeux sans remarquer que celle qu’il a abandonné vient d’être agrippée par un aigle.

Disparaissant dans le ciel, elle ne réapparaitra que 8 ans plus tard …

Le monde de Kazumi Yamashita

La superstition en guise de commandement

L’omniprésence des Kamis

« Ici, les habitants meurent toujours à l’âge de 50 ans… »

Land de Kazumi Yamashita étonne dès les premières pages.
Ne précisant ni la date, ni le lieu de son histoire, la mangaka nous décrit, par les vêtements, les décors et même la hiérarchie de sa communauté, un environnement plongé dans le passé.
A ceci prêt que de nombreux éléments parasitent rapidement ce faux récit historique.
Entre les hommes à tête d’animaux et les Kamis, Land prend rapidement le chemin du fantastique.

Ainsi, personne ne peut pas vivre au delà de 50 ans et donner naissance à des jumelles est porteur de malédiction.
Ces dogmes, entretenus par les dirigeants religieux, imposent leurs directives en se basant sur des prédictions lourdes de sens.
Et au dessus, il y a les Kamis.
Décrit comme des dieux, ils entourent la communauté sur chaque point cardinaux, protégeant et surveillant leurs fidèles.
On ne peut échapper à leur regard, notamment la nuit où toute sortie est interdite.
Si le respect et l’obéissance sont de mises, c’est surtout la peur des remontrances qui prédomine.
Et, au fil de l’histoire, ce sentiment prend de l’ampleur amenant à des comportants de pure sauvagerie.
Mais cette environnement cache de nombreux mystères remettant en cause le bien fondé de certaines croyances.
De ce point de vue, le cliffhanger du tome 1 amènent déjà à quelques interprétations tout en multipliant les interrogations.

Kazumi Yamashita donne sa vision d’une humanité pathétique, emplie de préjugés.
Les superstitions en font de simples moutons suivant les plus absurdes des commandements.

Une tragédie familiale

Des soeurs que tout opposent

Land se concentre, en premier lieu, autour de la famille de Setukichi.
Le père de famille semble être bienveillant et pourtant, il ne remet absolument pas en cause le sacrifice qu’on lui réclame.
Ce choix impacte durablement sa vie, déjà physiquement, en se jugeant indigne de poser à nouveau les yeux sur le monde qui l’entoure.
Le personnage est en réalité complexe et bourré de contradiction.
Au final , il lutte entre l’amour qu’il porte à sa fille et les coutumes qui conditionnent sa vie.

Ses deux enfants sont décrits, dès le départ, comme différents.
Sans qu’on sache qui est qui, on nous annonce que l’une d’entre elle ressemble à son père alors que l’autre tient plus de la mère.
Cette opposition et la séparation qui s’en suit les amènera à une inévitable confrontation.
Ce qui est interessant avec ces deux personnages, ce sont autant leurs différences que leurs ressemblances.
Elles portent le même nom.
Anne, l’enfant abandonnée et Ann, celle qui vit avec son père.
On peut d’ailleurs voir ce « e » manquant comme le symbolisme d’un manque.
Si Anne, de part son évolution, tient plus de l’enfant sauvage, guerrière et violente, sa soeur est caractérisée par une curiosité la rendant dangereuse aux yeux de ses concitoyen.nes..
Sur ce point, elles se retrouvent. Les méthodes sont différents mais à leurs façons, elles remettent en cause les superstitions de leur communauté.

Mais l’enfant sauvage, portée par son désir de vengeance s’opposent inévitablement à la candeur de sa soeur.
Opposées, elles vont devoir apprendre à se (re)connaitre et à passer au dessus de leur aigreur.

L’art expressif de Kazumi Yamashita

Une mise en page efficace

Le dessin de Kazumi Yamashita correspond à l’ambiance que l’on se fait en ouvrant un tel ouvrage.
Le trait, solide et maitrisé, est dans la droite lignée d’une école graphique semi réaliste s’éloignant des exagérations stylistiques inhérente au genre.
Le dessin se veut sobre sans être austère.
Les décors sont détaillés et l’encrage apportent de la finesse à un ensemble plutôt vif.
Un soin tout particulier a été apporté aux expressions notamment à celle d’Anne dont le traitement des yeux rappelle celui de certains shojo.
Cet aspect physique symbolise, d’une certaine manière, sa différence mais cet esprit curieux.

La mise en page est saisissante.
La narration, variée, met parfaitement en valeur les éléments du récit.
Ainsi, les Kamis sont illustrés sur de nombreuses pages, discrets mais omniprésents.
Quant aux scènes d’actions, elles sont particulièrement prenantes.
Rythmé et synthétique, elle caractérise notamment toute la sauvagerie d’e la survivante d’Ann .

Tout en évitant de spoiler Land, il m’est impossible de ne pas mentionner les nombreux rapprochements que l’on peut faire avec Tsugai, la dernière série d’Hiromu Arakawa.

Sans parler de plagiat, il est évident que la mangaka a été inspiré par la série de Kazumi Yamashita.
Les points communs sont nombreux, notamment sur le début des deux séries même si, de façon naturelle, Hiromu Arakawa apportera des éléments fantastiques plus conséquents.

N’y voyez aucun jugement de ma part, l’influence est inhérente à l’art et Tsugaï a , au final, une approche différente de Land.
Mais, cela peut destabiliser la lecture et remettre en cause la qualité de l’une ou de l’autre des deux oeuvres
Ce qui, à mon avis, serait une erreur.

En résumé

Land de Kazumi Yamashita est une oeuvre riche exploitant à merveille les peurs et les croyances d'une population isolée de tout. 

Si la série, prévue en 11 tomes, devra en apporter la confirmation, on peut presque parler de coup de coeur tant le récit de Kazumi Yamashita est mené de main de maitre(sse).
Prenant pour origine une tragédie familiale, la mangaka multiplie les mystères en créant un "monde" énigmatique maintenu par des superstitions ancestrales.

La sobriété du dessin laisse une place prédominante à l'expressivité des personnages tout en préservant son inventivité dans une mise en page variée et efficace.

Une excellente découverte
.

Pour lire nos chroniques sur Hana et Taru et Tsugai

Bulles Carrées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Aller au contenu principal