Les amants sacrifiés (Masasumi Kakizaki)

Alors que le Japon se prépare à entrer en guerre, Yusaku, président d’une entreprise de commerce international, pressent que sa position risque de devenir ingérable.
Malgré les inquiétudes de sa femme Satoko, il décide de partir en Mandchourie pour chercher des nouveaux canaux d’approvisionnement.
Accompagné de son neveu, Fumio, il revient de ce voyage, accompagnée d’une jeune femme.
Satoko remarque les changements d’attitude de son mari et essaie d’en percer les secrets.
Elle ne sait pas encore que la vie des deux amants va en être bouleversée.

À l’aube de la seconde guerre mondiale

Retour avec une mystérieuse étrangère

Adaptation du film de Kyoshi Kurosawa (datant de 2021), Les amants sacrifiés est l’histoire d’un couple de classe aisée, intégré au monde extérieur qui voit sa vie éclatée à l’approche de la seconde guerre mondiale.

La guerre est omniprésente dans le récit de Masasumi Kakizaki.
Dès l’ouverture du manga, peuplés d’images d’archives, le conflit s’installe petit à petit au Japon.
Le mangaka décrit parfaitement les mécanismes amenant à de nombreux changements politiques.
Autoritarisme et surveillance des citoyens sont accrus malgré un peuple voué à sa nation.
D’un certaine façon, ce sont tous ces éléments qui vont frapper de plein fouet la vie, jusque là tranquille, de Yusaku et Satoko.

Yusaku est un homme d’affaire qui a l’habitude de marchander avec les américains.
Il en a même adopter certain mode de vie.
Mais, à partir du moment où un de ses partenaires est mis en cause dans une affaire d’ espionnage, une méfiance s’installe à son encontre.
Et ce n’est pas Taiji Tsumori, membre de la brigade de Kobe et ami d’enfance de Satoko qui va lui apporter son soutien. Bien au contraire.

Le voyage en Mandchourie fait office de pointe rupture.
Yusaku revient de ce périple bouleversé.
L’auteur se garde de nous dévoiler immédiatement les causes de cet émoi mais elles sont profondes.
On peut guère en dévoiler plus sans se retrouver à spoiler une partie du manga.
Cependant si on se retrouve rapidement à prendre parti pour tel ou tel personnage, le mangaka démontre qu’à l’image de la guerre en cours, les frontière entre le « bien » et le « mal » restent floues.

Qui trahit qui ? Doit on aller à l’encontre de sa patrie quand on estime que celle-ci dérive ? Ou doit on obéir aveuglement à l’ordre établi ? Et surtout quelles sont les limites d’un tel engagement ?
Masasumi Kakizaki nous plonge dans un thriller tortueux où les réponses ne sont pas aussi simples qu’elles n’y paraissent.

Amour et patriotisme

L’espion espionné ?

L’amour que porte Satoko à son mari est sincère.
Cela ne fait aucun doute.

Pourtant, quand Yusuku cache la présence d’une chinoise dans l’entourage de son neveu, la graine du doute commence à germer.
Si Satoko cherche à comprendre les changements de son mari, elle n’est pas la seule à trouver les réactions de Yusaku étranges.
Taiji Tsumori se méfie du mari de son amie d’enfance.
Ce dernier est prêt à utiliser le patriotisme mais aussi la jalousie et la naïveté de la jeune femme pour l’amener à l’inconcevable : trahir son mari.
Taiji symbolise non seulement le poids des nouvelles mesures qui pèsent sur les Japonais mais aussi l’autoritarisme et la surveillance constante que porte l’état sur ces concitoyens.

Reste que la démarche de Yusaku semble juste.
D’une certaine façon, lui aussi se bat pour la vérité et il est prêt à tout pour la dévoiler au plus grand nombre.
Quitte à détruire tout ce qu’il a construit jusque là

Masasumi Kakizaki joue habilement avec les retournements de situations et mène son intrigue vers un enchevêtrement de manipulations toutes plus cyniques les unes que les autres.

La puissance du dessin de Masasumi Kakizaki

Un graphisme percutant

Sur Green Blood, western survitaminé, Masasumi Kakizaki nous avait déjà fait forte impression.
Son graphisme acéré et sa mise en page énergétique explosaient à chaque page jusqu’à (presque) l’écoeurement.

Avec les amants sacrifiés, il adopte une attitude beaucoup plus sage, même si on retrouve par moments l’intensité de ses ambiances par le biais de trames et autres effets de style.
Cependant, contrairement à Green Blood, ces dernières ont plus d’impacts du fait de leur rareté et du choix des scènes exposées de la sorte.

Le mangaka, même s’il reste assez fidèle au film, ne cherche pas à le reproduire avec exactitude.
Ainsi le design de ses personnages est, pour la plupart, assez éloigné des acteurs du film, à l’image d’un Taiji Tsumori beaucoup plus massif et froid.
Pour le reste, le travail du mangaka est toujours efficace et l’utilisation de nombreuses photos d’archives retranscrivent à la perfection le japon de la seconde guerre mondiale.

En résumé

Les amants sacrifiés est une très bonne adaptation de Masasumi Kakizaki. 

A travers cette romance historique, le manga explore cette époque où, à l'approche de la guerre, des vies vont être bouleversées. 
Le patriotisme est partout et s'insinue dans la vie de couple, quitte à amener les suspicions et les manipulations là où on ne les attend pas. 

Un récit haletant qui, avec une pointe de cynisme, frappe là où ça fait mal.

Pour lire nos chroniques sur : Spirou, le journal d’un ingénu et La guerre de Catherine

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