Une jeune femme fume à la fenêtre en n’écoutant pas son interlocuteur.
De l’autre côté de la ville, une autre s’apprête à accoucher.
Au-dessus des nuages, Mort est convoquée au dernier étage et ce n’est jamais bon signe.
En effet, elle apprend que son rôle va bientôt être remis en cause par une future naissance et que, par conséquent, elle se retrouve au « chômage ».
Privilège suprême, on lui accorde une réincarnation pour vivre comme une mortelle.
Sous les traits de Laila Starr, elle compte bien retrouver le rôle qui lui est dû.
Réflexion et tradition
Mort et Vie en interconnexion

Le pitch de Laila Starr est simple et intriguant.
Et si la mort se retrouvait du jour au lendemain au chômage ?
De ce simple pitch, Ram V en tire une réflexion intéressante sur la mort en tant que telle, son utilité, ses injustices et son impact sur notre société.
Comment ? Tout simplement en faisant découvrir cette dernière à sa propre incarnation.
En effet, Mort se retrouve dans le corps d’une jeune fille tout juste décédée ( Laila Starr) et se lance à la poursuite de l’enfant qui trouvera le procédé de la vie éternelle.
L’idée est simple.
Il suffit pour elle d’éliminer le problème à la source pour que tout revienne en ordre.
Sauf que tuer un enfant dont le sort n’a pas été décidé et, pour le coup, de façon véritablement injuste, n’est pas chose facile.
Ce qui est assez malin, c’est que notre Laila Starr qui, à la manière de Daytripper des frères Moon et Ba, meurt à chaque fin de chapitre pour mieux revivre des années plus tard.
Ainsi, elle se retrouve à vivre en parallèle sa propre vie tout en pourchassant Darius, un homme qui vit lui aussi la sienne.
On explore ainsi la mort dans tous ses états : mort naturelle ou non d’un individu, la consumation d’une cigarette ou la destruction d’un bâtiment.
Il est d’ailleurs important de mettre en interaction l’évolution de Laila Starr avec celle de Darius.
Alors que Laila apprend ce qu’est la vie, par cette nouvelle expérience mais aussi par le lien qu’elle entretient avec son incarnation opposée, Darius fait de même avec la mort.
Celle-ci marque son parcours jusqu’à en devenir insoutenable.
La mort de trop, celle qu’on n’accepte plus.
Pourtant, si Ram V écrit un merveilleux hommage à la vie, c’est aussi, paradoxalement, un récit sur l’acception de sa fin.
Si l’humanité, dans sa grande majorité, tente vainement de l’éviter, l’auteur nous propose de mieux l’accepter et de mieux nous préparer à notre fin.
Ram V et sa vision de l’Inde

Le continent indien est un sujet récurent dans les récits de Ram V.
Sur Swamp Thing Infinite, il explorait le poids des traditions indiennes sur la vie du héros.
Sur Laila Starr, il nous décrit un environnement, à travers la vie de Darius, plutôt aisé et empreint d’injustices et de contradictions.
Derrière la vie d’étudiants indiens riches et inconséquents, comme n’importe quels gamins de sociétés capitalistes, se cachent les petites mains du quotidien.
Et comme pour la mort, la vie indienne fait face à de nombreuses inégalités.
De ce point de vue, le second chapitre est sans doute le plus fort de la mini-série.
On y découvre un Darius encore tout jeune qui se lie d’amitié avec un des domestiques de la maison, Bradhan.
En mettant en scène ce lien entre un enfant issu des hautes castes et un simple domestique, Ram V remet en question cette hiérarchie si particulière en Inde.
La scène des fruits est d’ailleurs saisissante d’injustice et d’inégalité.
Dans ce même chapitre, on découvre aussi une procession funéraire traditionnelle.
Le deuil et le décès sont des choses qui se vivent , en Inde, en communauté.
Une façon d’apporter son respect au défunt et de lui souhaiter bonne route pour la suite.
Un graphisme étrange et hypnotique

Si le récit de Ram V est une belle réussite, il ne serait sans doute rien sans le dessin de Filipe Andrade.
Alors que le dessinateur espagnol avait déjà collaboré sur plusieurs séries Marvel, il peut, avec Laila Starr, développer comme il se doit, toutes les particularités de son dessin.
En effet, celui-ci est assez original et s’éloigne des carcans imposés par les récits mainstream.
Son style se démarque par ses personnages filiformes qui échappent, par moments, aux règles anatomiques.
Chez Filipe Andrade, le corps est un outil graphique.
Son cadrage, classique et rigoureux, ne l’empêche pas d’avoir une mise en page dynamique voire cinématographique.
Les couleurs pastel d’Ines Amaro apportent la touche nécessaire à l’ambiance instillée par le récit.
La petite cerise sur le gâteau qui fait de cet ensemble un émerveillement graphique.
En résumé
Toutes les morts de Laila Starr fait partie des comics qui auront marqué cette année 2022. Même si sa structure et son propos rappellent, par certains égards, le génial Daytripper, Ram V y apporte une personnalité propre alliée à un brin de fantastique. Le tout est merveilleusement enrobé par le trait atypique et hypnotisant de Filipe Andrade. Une réflexion sur la vie et la mort convaincante et attachante.
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