Daytripper (Gabriel Ba / Fabio Moon)

C’est l’histoire d’une vie.
Celle d’un homme, Bràs, qui cherche un sens à une vie pouvant, à chaque instant, s’interrompre brutalement.

Mettre en scène la mort pour décrire la vie

Une fin de vie soudaine et inévitable

Il y a des oeuvres qui marquent les esprits, plus que d’autres.
Les raisons peuvent être personnelles, liées à des évènements de la vie qui nous sont propres.
Daytripper de Gabriel Ba et Fabio Moon en fait partie.

Il faut dire que le sujet, qu’on a rapproché du récent Laila Starr de Ram V, centré sur la thématique de la mort, est universel.
À partir d’un certain âge, la logique de notre existence, fait qu’on va être un jour confronté au décès d’un membre de la famille ou d’un proche, qu’il soit « attendu » ou soudain.
Fabio Moon et Gabriel Bà font de cet évènement foncièrement tragique un récit empreint d’émotion et de poésie.

Chaque chapitre raconte un moment de la vie de Bràs.
Bràs est un homme tout ce qu’il y a de plus « banal ».
Quand on le découvre, il se pose beaucoup de questions. Il écrit des nécrologies pour un journal mais rêve de suivre les pas de son père, romancier réputé et adoré.
Il est en couple et peut compter sur les bons conseils de son ami, Jorge.
Mais, il cherche un accomplissement professionnel, familial et amoureux.
Un accomplissement qui se rompt brutalement par la mort à chaque fin de chapitre (à l’exception de deux d’entre eux).
Car les morts de Bràs sont soudaines et foncièrement injustes.

La mort est partout.
Elle est dans les nécrologies de Bràs.
Un travail qu’il fait sérieusement et qui, par la tragédie, va l’amener à prendre sa destinée en main.
La mort frappe au hasard mais il faut apprendre à l’accepter.
C’est aussi la puissance de ce roman graphique.
Jouer avec nos émotions, notre sensibilité pour nous amener à mieux vivre certaines de nos tragédies personnelles.

Hymne à l’amour

Le premier baiser

Le message de Daytripper est aussi touchant car il se sert de la mort pour avant tout nous parler d’amour.
L’amour au sens large : familial, amical et sentimental.

Pour Bràs, la famille est importante.
C’est un carcan solide. Il aime ses parents et ses parents l’aiment.
Pourtant, tout n’est pas simple.
Il se compare constamment à un père qui lui semble être un modèle inatteignable, ce qui amène certains ressentiments.
Une fois père, il ne cherchera d’ailleurs pas à reproduire le modèle.
La symbolique du passage de relais entre générations est primordiale dans l’oeuvre des frères Ba et Moon.
Être parents est l’accomplissement ultime, celui qui nous permet d’accepter la fin avec le sourire.

L’amitié est aussi importante.
Jorge est le meilleur ami de Bràs, son confident le plus proche , celui avec lequel il partage de nombreux souvenirs.
Mais Jorge reste énigmatique. Il prend la vie comme elle vient et prône le « lâcher prise ».

Et bien sûr, il y a l’amour avec un grand A.
Gabriel Ba et Fabio Moon se concentrent sur deux histoires d’amours.
La première est passionnelle, marquée par la fougue de la jeunesse mais s’interrompt aussi bruyamment qu’elle a commencée.
La seconde a un petit côté comédie romantique immédiatement attachante.
Sa vie de couple avec Anna est presque idéale.
Ils s’aiment… au point de devenir une famille.
Ainsi la boucle est bouclée, même si chaque mort de Bràs montre que le fil peut continuellement se briser et que le chemin est encore long avant de se sentir enfin accompli.

Deux frères en symbiose

Qui dessine quoi ?

Lors de la première édition de Daytripper, nous ne connaissions pas vraiment les deux auteurs brésiliens.

Si Gabriel Bà s’était déjà fait remarquer sur Casanova, le trip sous acide de Matt Fraction puis sur Umbrella Academy, l’autre trip sous acide de Gérard Way, le travail de Fabio Moon était encore assez discret.
Il était donc, au départ, assez difficile de différencier leurs traits surtout qu’ils semblent avoir étroitement collaboré.

Pourtant, avec le recul des années, un style ressort : celui de Fabio Moon.
Alors que le style de son frère est plus haché, sec dans la lignée d’un Mike Mignola, celui de Fabio Moon se veut plus réaliste et rond.
Pour s’en faire la preuve, il suffit de comparer n’importe quelle couverture, illustrée par Gabriel Bà, avec une planche intérieure.
Le contraste est assez saisissant.

Cependant, l’histoire ne semble pas si simple que celà.
Sur certaines pages, voire quelques cases, l’empreinte de Gabriel Bà semble s’imposer.

Daytripper est au final un roman graphique d’une beauté hallucinante, marqué par une collaboration fraternelle quasiment symbiotique.

En résumé

Lors de l'élaboration de nos chroniques, nous évitons au possible de parler de sentiments personnels. 
Avec Daytripper de Fabio Moon et Gabriel Là, cet exercice s'avère impossible.
La lecture de cette oeuvre aura été pour moi comme une révélation et un moyen d'accepter une tragédie qui était restée ancrée en moi et que j'ai appris à accepter, en devant le jeune père que j'étais à l'époque. 

S'il résonne aussi bien, c'est par sa justesse. 
Car Daytripper ne parle pas que de la mort. 
Il parle avant tout de la vie et d'amour. 
Celui que l'on porte à sa famille, à l'être aimé et à ses enfants. 

Daytripper fait partie de ces chefs d'oeuvre qui touchent en plein coeur. 
Emouvant, poétique. Tout simplement beau. 

Récompenses

  • 2011 : Prix Eisner de la meilleure mini-série

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