Mots Tordus et Bulles Carrées

Lucky Luke (Blutch)

Le jeune Rufus Kinker n’aurait pas dû essayer de voler Jolly Jumper.
Le voilà maintenant en cellule pour une prime de 20 dollars que Lucky Luke offre chaleureusement aux bonnes oeuvres.
Alors que le cowboy solitaire reprend son chemin, il tombe sur deux enfants loin d’être commodes.
Rose a la gâchette facile et le verbe haut alors que son frère Casper, qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre, ne pense qu’à une chose : manger.
Lucky Luke, ne pouvant abandonner cette marmaille, les ramène au shérif du comté voisin.
C’est ainsi qu’il apprend que les deux garnements ont un autre frère : Rufus Kinker.

L’ hommage de Blutch à Lucky Luke

Le dur exercice de la reprise

Le Lucky Luke de Blutch

Du Schroumpf de Tebo au Gaston Lagaffe de Delaf, sans parler du Asterix de Fabcaro, l’année aura été chargée en reprise de série.
Si on met de côté la proposition de Tebo offrant un vent de fraîcheur à la franchise, les deux autres ont pour point commun une simple reprise des codes de leurs créateurs sans franchement bousculer les habitudes.
Cet exercice notamment graphique, à la limite du clonage, m’a toujours gêné.
Si on peut comprendre le souhait de faire vivre de nouvelles aventures à de telles icônes, on peut regretter que cela ne s’arrête qu’à une simple imitation de ce qui a déjà été fait… et en moins bien.
Cela vient sans doute de mes habitudes de lecteur de comics mais je ne vois pas l’intérêt de singer un dessinateur.
Surtout que, la plupart du temps, les auteurs impliqués sont capables de bien mieux.
Je ne nie pas la sincérité d’une telle entreprise, même si l’aspect pécunier de l’affaire joue forcément.
Ne pas bousculer les habitudes de fidèles lecteurs de peur de les perdre, même si pour cela on doit renoncer au renouvellement du lectorat.

Je ne suis pas forcément un fan du cowboy solitaire.
J’ai des souvenirs émus des premiers volumes écrits pas Goscinny. Mais je suis moins enthousiaste de ceux de Morris en solo.
Malgré tout, la série a eu le droit à des « vu par » plus intéressants que les autres grandes licences franco belges.
De Matthieu Bonhomme à Bouzard, de nombreux auteurs se sont amusés avec le cowboy, l’amenant tantôt vers un certain réalisme, tantôt vers une gentille caricature.

À l’inverse, le Lucky Luke de Blutch ne cherche pas ce genre d’innovations.
Les intentions sont d’ailleurs mentionnées dès la couverture.
Les indomptés est vu par son auteur comme un hommage au Lucky Luke de Morris.
On aurait pu craindre une pâle copie.
Mais l’unicité même de l’objet et le talent hors du commun de son auteur en font pourtant une réussite.

Une baby-sitter d’un nouveau style

Des enfants un peu collants

Le Lucky Luke de Blutch est un épisode qui aurait toute sa place dans la bibliographie du personnage.
On y retrouve bien sûr tous les codes caractérisant la série.
Que ce soit sur la forme comme sur le fond, les indomptés est un retour au source.
Lucky Luke est tel qu’on le connait. Cowboy solitaire et fin tireur, il est toujours accompagné de son fidèle et moqueur compagnon : Jolly Jumper.
Cependant, il ne faudrait pas y voir de la simplicité. Si l’auteur reprend le héros tel quel, il ne souhaite pas faire de son histoire un condensé de l’ère Morris.
Ne cherchez pas les Daltons ni Rantanplan, vous ne les trouverez pas !
Au contraire, vous découvrirez deux énergumènes, tout droit sortis de l’esprit de Blutch.
Et les enfants du grand ouest ne sont pas les plus simples à gérer.
L’auteur, à travers le décorum de Morris, s’amuse à distiller son ton irrévérencieux par le biais des bêtises de nos indomptés ( et non adoptés, et on comprend vite pourquoi).
Et Rose n’a pas la langue dans sa poche. Elle n’hésite à malmener le pauvre Lucky Luke qui, on le sent bien, préfère se lancer à la poursuite de malfrats.

L’écriture de Blutch est un savant dosage entre l’hommage, un humour à la limite du non sens, et une aventure classique mais prenante.
Et tout fonctionne !
On se régale en retrouvant les malfrats aux trognes improbables, le shérif incompétent ou ses grands mères puritaines cédant devant l’outrecuidance de ces gentils chenapans.

Sorte de revival de la « Bd de papa », Blutch réussit le pari d’écrire une véritable comédie d’aventure légèrement modernisée par des apports distillés ici et là.

Le Lucky Luke de Blutch ou de Morris ?

Exagération et non sens

En 2017 sortait Blutch variation, un ouvrage où Blutch reprenait à sa sauce plusieurs pages de séries iconiques.
Parmi elles, on trouvait déjà un hommage à Morris dans lequel il reprenait habilement son style dans un noir et blanc de toute beauté.
Avec le recul, ces travaux sont un premier aperçu de ce que deviendra Les indomptés.

Blutch reprend avec une facilité déconcertante tous les codes graphiques de Morris.
Le cadrage en gaufrier, les couleurs aux teintes exacerbées et ce côté « bouche en cul de poule » qui caractérise si bien Lucky Luke.
Mais derrière cette reprise, il y a tout le talent de Blutch.
Il s’empare de l’imagerie de Morris pour en faire sienne et la modeler par de subtiles modifications.
Si le trait de Morris tient plus du dessin humoriste, celui de Blutch se veut plus réaliste.
Ses personnages sont magnifiquement proportionnés avec, pour certains, des trognes absolument délectables.
D’ailleurs, cet humour graphique est poussé à son paroxysme lors des chevauchées avec Jolly Jumper où le galop devient un élément de pure comédie.

C’est sans doute ça toute la force de cet album.
Alors que quelques auteurs reprennent vainement le style de leur maitre, Blutch se montre respectueux mais ne singe aucunement Morris.

En résumé

Les indomptés est définitivement un bel hommage de Blutch au Lucky Luke de Morris. 
Si le projet n'est pas d'offrir une nouvelle vision du cowboy solitaire, on est aussi très loin de ces vaines reprises sans âmes.
D'une maitrise absolue et avec un dosage parfait d'action et de comédie, Blutch offre une nouvelle aventure de Lucky Luke réjouissante.

Blutch s'approprie l'univers de Morris et lui impose quelques mises à jour bienvenues à l'image de ces galops qui tranchent avec la rigueur graphique du reste de l'album.

Un revival agréable qui démontre qu'on peut quand même faire une bonne soupe avec de vieux pots (à condition d'y rajouter quelques épices).

Commander sur

Pour lire nos chroniques Pépin et Olivia et Disparais !

Bulles Carrées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Aller au contenu principal