Mots Tordus et Bulles Carrées

Valérian : Shingouzlooz inc. (Wilfird Lupano/Mathieu Lauffray)

Alors que Valerian et Laureline mettent fin aux agissements d’un androïde capitaliste, Mr Zi-Phone, les Shingouzlooz demandent de l’aide aux deux agents spatio-temporels.
En effet, Mr Albert les a pris en chasse et, furieux, il pourrait commettre l’irréparable.
Et pour cause, le hasard a amené les facétieux extraterrestres à acquérir la propriété de la terre puis à la perdre aux cartes.
Et le nouveau propriétaire, Sha-oo l’assoiffeur est plutôt du genre à vouloir profiter des grandes ressources d’eau de la planète bleue.

Dans la droite lignée des aventures de Christin et Mézières

Laureline , femme à poigne

La série à l’origine

Valérian a été créé en 1967 par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières dans les pages du cultissime Pilote.
Comptant 23 albums, une adaptation animée et cinématographique, la série fait partie des oeuvres classiques de la bd franco-belge.

Alors que les auteurs n’ont plus publié d’albums depuis 2010, Dargaud (avec l’accord des auteurs) à l’instar du Lucky Luke de Mathieu Bonhomme, offre la possibilité à certains auteurs de donner leur vision du duo d’agents cosmiques.
Si le premier album de la collection, écrit et dessiné par Manu Larcenet, avait complètement réinterprété l’univers de Christin et Mézières, la version de Wilfrid Lupano et Mathieu Lauffray s’avère plus en adéquation avec l’oeuvre originale.

La vison de Wilfrid Lupano

En effet, qui mieux que le scénariste Des vieux fourneaux pour concocter un délicieux mélange d’aventure spatio-temporelle, d’humour et de réflexion sociétale si chère à la série originelle.
Valerian : Shingouzlooz inc., c’est exactement ça.

Dès les premières pages, le lecteur est lancé dans le récit et ne reprendra son souffle qu’à la dernière page.
Wilfrid Lupano a l’intelligence de diviser les groupes et de séparer Valerian de Laureline pour l’occasion.
Chacun dans leur rôle bien défini, ils vont tenter une nouvelle fois de sauver le monde, quitte à remonter jusqu’à sa création.
Valerian et les Shingouzlooz auront la lourde tâche de réparer la mécanique et de pêcher ( oui, oui) une énorme thon.
Pendant ce temps, Laureline accompagnée de Mr Albert, tente de négocier la Terre à un commerçant sans scrupule.

Le ton se veut résolument moderne mais respecte en tout point l’héritage de Christin et Mézières.
L’esprit est bien là mais l’écriture est beaucoup moins marquée années 60 ce qui, d’une certaine façon, peut permettre à un jeune lectorat de mettre un pied dans l’univers de Valerian et d’en découvrir sa modernité.
Pour rappel, la série date des années 60.
Et un personnage comme Laureline, avec son caractère bien trempé et indépendant, tranchait avec la plupart des héroïnes de l’époque.

Wilfrid Lupano s’amuse avec le temps, lui donnant d’ailleurs une importance primordiale à la résolution de son intrigue.
Ainsi qu’à un dernier coup de théâtre assez inattendu.

Ecologie et critique capitaliste

La Terre, pur produit de consommation

Wilfrid Lupano a toujours aimé saupoudrer ses scénarios de réflexions sociales.
Et son Valerian ne pouvait pas déroger à la règle.
Une règle d’autant plus respectée qu’elle correspond totalement à l’esprit de Christin et Mézières.

Valérian : Shingouzlooz inc. porte un regard sur notre empreinte écologique.
L’écologie est une thématique très présente dans les récits actuels, notamment de science fiction.
Le scénariste s’en empare, non sans un certain cynisme sur le rôle de l’humanité dans l’état de la planète.

Ainsi la planète devient un produit.
L’auteur, qui n’en est pas à son premier taquet au monde capitaliste, montre que cette philosophie permet d’acheter tout et n’importe quoi sans aucune limitation.
Pire, certains acheteurs ( ou grands patrons) n’ont aucun scrupule à épuiser les ressources de ce qu’il vienne d’acheter.
Le monde qui les entoure, ils s’en fichent. Tout ce qui compte, c’est l’argent qu’ils vont retirer de cette affaire.
Que ce soit une espèce en voie de disparition ou une planète entière, rien ne semble limiter leur voracité et c’est bien ça le problème.

Mathieu Lauffray au sommet de son art

Le sens du grandiose

Mathieu Lauffray est un auteur que j’aime tout particulièrement.
L’ayant suivi, dès ses premiers travaux sur Prophet, en collaboration avec Xavier Dorison, je n’ai cessé d’admirer ses atmosphères ténébreuses grâce à un travail d’encrage rappelant celui des plus grands auteurs américains.

Sur Valerian : Shingouslooz Inc., il explore un univers jusque là inconnu pour lui : la science fiction.
Et franchement c’est une pure réussite.

Déjà, et c’est important pour ce genre de projet, son travail de réinterprétation est convaincant.
Son trait, beaucoup plus réaliste que celui de Jean-Claude Mézières, s’accorde à la perfection à Valérian et (surtout) à Laureline.
A côté de cela, il a su retrouver aussi le côté plus cartoon de la série grâce à l’apport ( et au design) de personnages comme les Shingouzlooz ou le Sha-oo.

Sa mise page est un mélange de pages aux cadrages classiques et d’autres absolument dantesques.
La narration de Lupano, moins gourmande que celle de Dorison, permet au dessinateur de s’éclater sur des doubles pages dévoilant l’immensité de l’infini avec brio.
L’ambiance plus lumineuse qu’à son accoutumée, il propose une palette de couleurs adéquates qui l’oblige à détailler son trait tout en délaissant ses fameux ombrages.

Pour cet album, Mathieu Lauffray a su sortir de sa zone de confort, tout en conservant la puissance de son trait.
Un dessin qui colle d’ailleurs à la perfection à cet univers et qui nous fait espérer qu’un jour, peut être, l’auteur délaissera l’immensité de la mer pour celle de l’espace.

En résumé

Valerian  Shingouzlooz inc.  est une réinterprétation réussie. 

L'intrigue de Wilfrid Lupano offre de la modernité à l'univers de Christin et Mézières tout en gardant à l'esprit ce qu'est la série à l'origine : une aventure spatio-temporelle, reflet de notre société, assaisonnée d'une petite touche d'humour. 

Et graphiquement, Mathieu Lauffray nous offre une des ses meilleures prestations  : un trait soigné, un encrage impeccable, une mise en page dynamique et explosive. 

Un pur moment de bonheur, qu'on soit ou non un amateur de Valerian et Laureline

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Bulles Carrées

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