On a beaucoup écrit et filmé les soldats après la guerre, leurs difficultés à retrouver une place dans la société et à gérer leur nouveau quotidien en temps de paix. Mais je n’avais encore jamais lu de dystopie dans laquelle un soldat de 16 ans, génétiquement et hormonalement modifié pour être un combattant sans émotion, devait réintégrer la vie civile, à savoir un lycée.
C’est chose faite, et bien faite, avec LX18, le dernier roman de Kamel Benaouda, aux éditions Gallimard jeunesse.
LX18 est un « altéré » de 2nde classe, spécialisé dans le combat rapproché. Il a été formé, depuis sa naissance, sous la houlette de la colonelle Wollstone, à intervenir dans les conflits armés grâce au programme Médusa. Ces jeunes soldats sont sans émotion (comme l’illustre parfaitement la couverture du roman réalisée par Jules Julien). Humain mais sans ressentis, obéissants et dévoués à leur mission de protection de la population.
Avant que ne débute cette dystopie, on découvre une dédicace de Charlie Chaplin :
« Nous pensons trop et ne ressentons pas assez. Plus que de machines, nous maquons d’humanité. Plus que d’intelligence, nous manquons de douceur et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence et alors, tout est perdu. »
C’est donc d’humanité dont il va être question, de ces sentiments qui font de nous des humains. Mais peut-on apprendre les sentiments ? C’est cette interrogation qui va jalonner tout le roman.
Le premier chapitre de cette dystopie s’ouvre sur les premières pages du journal d’LX18, entre le 28.11 et 02.06. L’exercice a été demandé par la colonelle Wollstone, comme un « exercice psychologique » dans lequel les « altérés » devront « détailler leurs pensées« . Et ce n’est pas facile pour LX18 : l’écriture est mécanique, sèche et objective à l’extrême. On comprend vite qu’il ne s’exprime pas en tant que « sujet » mais en tant que matricule. D’ailleurs, les pronoms personnels sujets disparaissent régulièrement dans les premières pages.
J’ai tout de suite pensé au magnifique roman de SF de Daniel Keyes « Des fleurs pour Algernon » dans lequel Charlie, le personnage principal, souffrant d’un retard mental, évoluait suite à une expérience scientifique qui augmentait petit à petit son QI, ce qui se lisait dans la syntaxe des phrases du journal qu’il tenait et à la correction de son orthographe, d’abord très fautive puis de plus en plus élaborée. Triste roman qui voyait cet homme régresser ensuite lentement après l’échec de son traitement, assistant à sa propre déchéance, tandis que ses écrits reprenaient leur aspect original.
Alors qu’il est envoyé en « mission » dans un lycée, LX18 doit réussir à devenir un lycéen et s’intégrer dans la vie quotidienne de ses nouveaux camarades de classe, sous peine d’être reclassé. En effet, régulièrement, les « altérés » sont notés quant à la qualité de leur intégration dans la vie lycéenne. Les résultats au-dessous de 50/100 disparaissent.
C’est donc l’apprentissage difficile (mais parfois drôle) de la sensibilité qui commence pour lui. Et les manuels distribués par les gradés de la caserne s’avèrent bien peu efficaces pour cela…
Heureusement, sa rencontre avec Philomène, la bien nommée (en grec, « philein » signifie « aimer »), une jeune camarade de classe, va lui permettre de devenir Hélix. C’est la relation qui nait entre eux, mais aussi l’amitié avec Amir, un lycéen un peu à part, qui change le jeune « altéré » en humain. La rencontre avec un vieil amoureux de Brahms aussi.
On sent, dans ce parcours initiatique, que la littérature et les arts ont une grande importance pour l’auteur. Le théâtre en particulier, mais aussi la musique (c’est d’ailleurs sans surprise que j’ai découvert que l’auteur, Kamel Benaouda, était enseignant dans un lycée près d’Angers, après avoir fait des études de Lettres).
Mais réduire ce roman à cette « métamorphose » serait oublier toute la réflexion qu’offrent les personnages secondaires et leurs réactions vis-à-vis de lui (il est vu comme une « machine » par certains membres du projet Médusa mais aussi par des camarades du lycée ou leurs parents, alors que certains de ses acolytes « altérés » ne comprennent pas son désir d’humanité). Car derrière ce difficile « retour à la vie civile » se cachent des échecs, des rébellions et des motivations douteuses et belliqueuses d’humains parfois mal intentionnés.
Cette dystopie offre donc un récit complexe mais accessible à partir de 13 ans. Il sème également quelques graines culturelles dont on trouvera les références complètes à la fin du livre.