Une maison au coeur de la forêt suédoise. Trois générations de femmes vont y vivre des jours sombres mais aussi une communion avec la nature sans commune mesure. Des secrets de famille qui rongent, au-delà du temps. Entre tendresse et brutalité, Lina Nordquist tisse avec Celui qui a vu la forêt grandir les histoires d’une famille malmenée par la vie, au-delà du bien et du mal, où chacun cherche son chemin.
La petite maison dans la forêt
C’est une ferme à la lisière de la forêt suédoise. Même si elle a été construite à l’endroit le plus ensoleillé, elle est frustre et les hivers y sont difficiles.
C’est pourtant ici que Unni trouve refuge, avec son fils Roar et Armod, son compagnon. Cet homme a choisi de quitter son pays, la Norvège, d’aimer. Et de vivre avec cette femme, poursuivie pour avortements clandestins. Et d’élever ce bébé qui n’est pas le sien.
Quand ils achètent cette ferme délabrée, ils y logent tous leurs espoirs.
Nous sommes restés près de la barrière dont les piquets penchaient de tous côtés. Je respirais fort, les larmes aux yeux. Je me rappelle parfaitement la manière dont Armod s’est rempli les poumons, prêt à dire quelque chose, avant de s’arrêter dans son élan, examinant les arbres qui entouraient la petite maison grise. Il s’est tu longuement, lui qui passait d’ordinaire son temps à bavarder et à plaisanter.
– Imagine, Unni, a-t-il fini par murmurer à côté de ces troncs adultes.
Il m’a pris la taille pour m’attirer contre lui.
– Tu vois cette branche maigrichonne, juste là ? Quand on aura vu toute une forêt grandir, c’est qu’on aura vécu.
Et il en faudra du courage pour survivre dans cette forêt. La faim, la maladie, le froid et la violence de la nature, et des hommes, y seront implacables.
Parallèlement, à la génération suivante, deux femmes se font face : Kara et Bricken. Elles se préparent à enterrer celui qui était le ciment de cette famille, le beau-père et le mari de l’une et l’autre, Roar.
Même si elles sont unies dans le chagrin de la perte de cet homme qui était leur compagnon au quotidien, tout les oppose. L’une reste active mais attachée aux traditions. Tandis que l’autre est partagée entre la tristesse et l’envie de fuir ce lieu sombre et sans vie.
Dans des chapitres alternativement narrés par Unni et Kara, les lecteurs vont découvrir l’histoire tendre et violente de cette famille liée par le sang et la nature à cette maison grise.
Des vies de femmes
J’ai toujours aimé les récits ancrés dans les paysages nordiques. La nature y est puissante. Et les hommes et femmes qui y vivent ont souvent une conscience forte de leur place au sein de celle-ci.
C’est exactement ce que j’ai ressenti dans ce roman de Lina Nordquist. La forêt y est un personnage à part entière et elle influe sur la vie des êtres qui essayent d’y vivre.
Mais surtout, j’y ai découvert des portraits de femmes et d’hommes profondément humains.
En tout premier lieu, celui d’Unni, cette femme qui se bat pour continuer à vivre et à faire vivre sa famille, dans ce lieu qu’elle a choisi. Celui de Kara également, beaucoup plus fragile et indécise, mue par des sentiments sombres et par une tristesse profonde.
Les personnages masculins de la famille, Armod et Roar, sont également bruts et lumineux, à la croisée de l’arbre robuste et de la neige scintillante. Chacun d’eux, à sa manière, incarne cette bâtisse qui abrite les générations successives de la famille, entre rudesse et tendresse.
Car ce sont des portraits de femmes et d’hommes pauvres, fragilisés par les accidents de la vie mais dans le coeur desquels coule une sève puissante. Un élan de vie que rien, ou presque, ne peut éteindre.
Aux premières neiges, Armod dansait toujours non seulement de joie, mais pour conjurer les épreuves qui nous attendaient. En été, il admirait les champs bleus, et en automne, toutes ces nuances de vert, de jaune et d’orangé qui nous entouraient, résistant à l’angoisse de la saison froide, et à la faim, l’hiver venu.
Et, petit à petit, les pièces du puzzle familial vont se dévoiler. Les parcours alternés de Unni et Kara vont finir par former une fresque en clair obscur, la vie de l’une éclairant celle de l’autre.
Lina Nordquist a obtenu le prix du meilleur roman de l’année 2022 et l’on comprend pourquoi en le lisant. L’écriture est à la fois poétique et violente, puissante comme la nature qui décide de la vie et de la mort des humains qui foulent son sol.
Les émotions sont intenses et les relations entre les parents et les enfants sont complexes. En outre, le suspense et les révélations finales emportent. Les pages de ce roman forestier tournent comme les saisons, menant les lecteurs sans lourdeur vers une ouverture pleine d’espoir.
Pourquoi lire Celui qui a vu la forêt grandir ?
Celui qui a vu la forêt grandir est un roman fait de roche, de bois, de sang et de neige. Lina Nordquist nous emporte dans cette forêt suédoise, puissance naturelle au-delà du bien et du mal, au coeur d'une fresque familiale qui touche aux fragilités et aux forces de l'humain. Les portraits des femmes et des hommes qui vivent et ont vécu dans la Paix, la maison familiale, sont touchants. A travers les mots et les émotions d'Unni et Kara, trois générations dialoguent pour comprendre et dire la vérité. La vie, en somme.
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