L’humanité est en pleine mutation.
Jour après jour, des enfants naissent avec un germe lié à leur corps.
Au grand détriment de ceux qui souhaitent la préservation de l’espèce humaine, les cas sont de plus en plus fréquents, touchant enfants comme adultes.
Comment réagir face à cette évolution ?
Faut-il la combattre brutalement ou l’accepter pleinement ?
Quoiqu’il en soit, les verts envahissent le monde.
Le grand remplacement végétal
Pendant ma lecture de Verts de Patrick Lacan et Marion Besançon, je n’ai eu de cesse de penser au film de Thomas Cailley, Le règne animal.
Et d’une certaine façon, la réussite de cet album m’a fait comprendre ce que je reprochais vraiment à ce film.
Avec Le règne animal, on découvre des mutations animales ; avec Verts, c’est le végétal qui envahit littéralement les corps.
Si ces deux récits partagent des thématiques communes, écologiques et sociales, le 9eme art sort malgré tout gagnant de ce combat.
Une fable écologique
Plus subtil, plus poétique, sûrement plus conscient, le récit de Patrick Lacan et Marion Besançon frappe par sa justesse.
En effet, le propos de Verts conserve toute sa simplicité, sans pour autant renier sa nécessité.
L’intensité monte au fil du nombre grandissant de cas, passant de quelques naissances à une vague épidémique.
Au vu de la première scène rappelant celle de Sous un rayon de soleil de Tsukasa Hojo, la thématique principale est avant tout écologique.
Alors que l’humanité saccage continuellement la planète, les auteurs inversent le rapport de force.
La nature reprend la main dans ce conflit d’espèces, amenant forcément à la disparition ou à la modulation de l’une d’entre elles.
La méthode : muter à l’intérieur même du corps humain.
À travers un récit divisé au rythme des saisons en 4 parties, on assiste à un changement radical de la nature humaine.
On pourrait comparer cette mutation avec celle des sanctiflores de Fool Night mais la nature est bien différente.
Si elle ne repose pas sur le volontariat, elle demande une certaine acceptation des nouveaux porteurs.
La vision des auteurs devient ainsi lumineuse, presque poétique.
Il y a quelque chose de saisissant à voir le corps humain fusionner avec la nature.
Et si la réaction primaire est la peur, l’évolution se montre nécessaire pour que l’humanité puisse enfin vivre en harmonie avec son environnement.
Une minorité en résistance
Avec un changement aussi brutal, les réactions ne peuvent qu’être radicales.
Et de ce point de vue, Verts se montre pertinent et évite habilement la caricature.
Ne se concentrant pas sur une seule unité, le récit prend le risque de développer plusieurs points de vue.
Il y a ceux qui acceptent ce changement.
Adèle est une jeune fille mystérieuse qui communie avec les arbres, acceptant à bras ouvert la mutation.
Symboliquement, elle représente cette jeunesse inquiète des changements climatiques et ouverte au changement.
Lucien, en couple avec Gibril, a toujours rejeté le monde extérieur. Il voit, dans l’apparition des bourgeons, un renouveau qu’il n’espérait plus.
Et bien sûr, il y a ceux qui le rejettent.
S’ils sont, au final, assez minoritaires, ils n’en restent pas moins radicaux et prônent une résistance violente face à la crainte d’une disparition totale de leur espèce.
Cette peur insensée est l’expression même de ce que l’on voit à chaque changement de société.
L’Homme est effrayé face au « grand remplacement » alors qu’il ne comprend pas que ce n’est juste qu’un « grand changement ».
Le père de Clarence est de ceux-là.
Pourtant, il n’est pas plus détestable qu’un autre. Au contraire, la tragédie familiale qu’il subit amène à une certaine compréhension.
Et pourtant… Il s’entête à faire les mauvais choix, quitte à délaisser la personne qu’il a toujours promis de protéger.
À travers ces portraits et de nombreux autres, les auteurs montrent une gamme étendue de réactions, apportant une grande richesse à cette réflexion sociale.
Cette mutation, aussi inéluctable soit-elle, décrit une humanité aussi réjouissante qu’effrayante, aussi aimante que détestable.
Verts est, en quelque sorte, une belle exposition de l’âme humaine.
Du Francobelge sauce manga
Par son approche graphique, on pense inévitablement « manga » en admirant les planches de Marion Besançon.
Cependant, si on a l’habitude de ce type de Manfra, la proposition de l’autrice me semble plus réflèchie.
Certes, on y retrouve certains codes comme le noir et blanc ou l’expression des visages mais l’objet est plus proche de l’album francobelge que du manga.
Et même le noir est blanc, par son traitement ou sa fonction, est totalement intégré au récit.
Son aspect surpasse ainsi l’effet de style.
Les pages ne dépassent que très rarement les 4-5 cases, laissant ainsi la place à un trait fin et détaillé.
Il crée aussi une ambiance graphique, tantôt fantastique, tantôt poétique, donnant une place prédominante aux émotions.
L’album est conséquent et, si on peut discuter sur cette énième dénomination de « roman graphique », on est assez épaté par la proposition de Marion Besançon.
Pour un premier album, elle étonne par sa maturité graphique.
On pourra toujours chipoter sur la lisibilité de certaines cases mais on ne peut que rester admiratif devant cette maitrise, à l’image d’un dernier chapitre merveilleux.
D’ailleurs , la couverture est sans doute une des plus belles de cette année 2024.
En résumé
Verts de Partick Lacan et Marion Besançon est un récit aussi inattendu que réjouissant.
Cette fable écologique intense et radicale décrit la transformation progressive de toute l'humanité et étonne par une intrigue alliant humanité et réflexion.
Si certains passages frappent l'esprit par leur poésie, d'autres sont des analyses pertinentes des réactions humaines face au changement.
Entre acceptation et rejet, l'espèce humaine doit évoluer pour survivre.
Pour un premier album, Marion Besançon fascine par la volupté de son trait, fusion parfaite entre manga et francobelge.
Les influences sont présentes mais totalement assimilées en un ensemble graphique lumineux et inventif.
Un plaisir autant pour les yeux que pour l'esprit.
Pour lire nos chronique sur Nos Rives partagées et La maison sous le maison