Mots Tordus et Bulles Carrées

Fourmidable (Jo Hoestland)

La collection « Petite poche » chez Thierry Magnier propose depuis bientôt 20 ans une belle panoplie de textes courts, à la mise en page aérée et à la police volontairement grandie. S’ils rassurent nos « petits » lecteurs, ils n’en restent pas moins des récits très efficaces et à l’écriture choisie. En témoigne leur succès auprès des bibliothécaires et des professeurs documentalistes (petit clin d’oeil à ma lectrice de sieste contée préférée Capocapes).

« Fourmidable » de Jo Hoestland (une habituée de cette collection puisqu’elle en a déjà écrit 10) est l’une de ces courtes histoires, entre la fable et le conte philosophique, qui sème de petites graines dans les esprits gourmands de nos enfants et de nos collégiens. 

 
 

Dans ce roman, la fourmi 68 vit au rythme régulier et ordonné de la fourmilière, devant la fourmi 69 et derrière la fourmi 67.  Son quotidien est dédié à la collectivité et ne laisse aucune place à la rêverie ou à l’individualité. Son chemin, tracé et retracé chaque jour, ne l’interroge pas et elle emboite rigoureusement le pas de ses congénères travailleuses. 

Un jour cependant, elle tombe sur un puceron en détresse et, alors qu’elle le ramène à l’abri dans la fourmilière, elle commence à parler avec lui. Parce que Bouda (68 l’a nommé ainsi pour son caractère boudeur mais on devine que le clin d’oeil à l' »éveillé » en sanskrit n’est pas loin) est un contemplateur : tout ce qui l’entoure, fleurs, paysage, odeurs et goûts, l’attire. Or, en le ramenant dans l’enceinte de la fourmilière, 68 l’a privé de ce qui faisait son plaisir et le sel de sa courte vie de puceron. 

Elle commence alors à se mettre à l’écoute de ses sens, à contempler la nature et le monde qui est le sien, pour le rapporter à Bouda. Et, petit à petit, nait son désir de voir au-delà de son quotidien, au-delà de la prairie, vers l’ailleurs. 

Dès lors, elle devient une ouvrière peu efficace car elle rêve de grands et de nouveaux espaces. Mais peut-on changer de vie quand on est une fourmi ?

Jo Hoestlandt raconte avec malice la petite révolution (« mai 68 » est citée en dédicace) qui se joue dans l’esprit de l’insecte. Et c’est dans la bouche (mais les pucerons en ont-ils ?) de Bouda que l’interrogation prend forme : 

« Je ne sais pas ce qui est le mieux… chuchota Bouda. Rester ici dans l’ombre et le noir, mais à l’abri […] Ou repartir dans le monde, merveilleux, mais dangereux, où tout peut arriver, malheur, bonheur, la vie, la mort, tout… » (page 32)

L’écriture de l’autrice est vive et amusée, souvent poétique et philosophique, et l’on prend beaucoup de plaisir à suivre celle qui deviendra « Fourmidable ». Parce que la soif de liberté et d’indépendance de ces deux petits insectes, leur courage aussi à affronter le vaste monde pour vivre vraiment, sont enthousiasmants. Si l’autrice elle-même, sur son site, dit « écrire au ras des pâquerettes« , alors allongeons-nous avec elle quelques minutes pour prendre de la hauteur. 

(Mots tordus)

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