Alors que l’on commémore en 2024 le génocide contre les Tutsis qui a dévasté le Rwanda il y a 30 ans, Gaël Faye revient sur la scène littéraire avec son deuxième roman : Jacaranda. On y suit Milan, un jeune franco-rwandais qui découvre douloureusement les silences de l’histoire de sa famille maternelle. Le narrateur y raconte son long cheminement pour reconstituer, au fil de ses rencontres, le parcours tragique de ce pays qu’il va apprendre à connaitre et à aimer. A travers quatre générations, va se dessiner la silhouette mystérieuse d’un arbre, symbole de la mémoire de son pays.
De 1994 à 2020
Le roman de Gaël Faye s’ouvre sur un rire. Un rire nerveux. Celui d’une mère qui ne comprend pas la douleur de sa fille Stella, ni son silence. Qui n’entend pas les larmes qui coulent dans son coeur suite à l’effondrement de son arbre, son jacaranda. L’arbre de son enfance.
Ce rire dit beaucoup. La mère ne comprend pas la tristesse de sa fille, elle qui n’a jamais vécu les massacres et le génocide. Elle qui n’a jamais manqué de rien.
C’est cette même incompréhension qui va bouleverser Milan, un jeune franco-rwandais, en 1994, alors qu’il découvre à la télévision la guerre qui secoue le pays de sa mère. Ce pays dont il ne connait rien, cette famille dont elle ne parle jamais.
Arrivée en France en 1973, elle considère que sa vie a commencé à cette date.
Les images de la guerre et les silences de sa mère vont profondément marquer Milan.
Je me revois, couché en boule sur mon lit pendant des heures, la sueur au front, mes avant-bras pressant mes boyaux douloureux, espérant que la brulure se taise ; je me revois dans ma chambre, en fin d’après-midi, fixant une ombre évanescente sur un mur de la pièce, et l’ombre qui évolue, tremblote, se métamorphose puis disparait au rythme de la course du soleil et du surgissement de la nuit ; je me revois prostré des heures durant, avec ce sentiment inexplicable qu’il me faut être patient, que la vie me destine à une chose que j’ignore encore, et que la contrepartie de cette chose inconnue est l’attente, une longue attente, sereine et acharnée.
Mais c’est grâce à l’arrivée brutale de Claude, un petit garçon réfugié du Rwanda, recueilli par la famille quelques temps, que vont se tisser les liens entre Milan et son pays maternel. Des liens qui ne cesseront de s’épaissir au fur et à mesure qu’il avancera dans la vie et qu’il découvrira le Rwanda et l’histoire de sa famille.
De séparations en retrouvailles, des jours et des nuits passés à Nyamirambo, le quartier de Kigali où toutes les nationalités cohabitent pour s’en sortir, des rencontres avec Stella, la vieille Rosalie ou même Sartre, c’est une quête de vérité et de paix qui va porter Milan et faire résonner les voix des disparus.
Dire les silences, vivre ensemble et pardonner
Jacaranda est une fresque romanesque sur le Rwanda. Mais une fresque à hauteur d’hommes et de femmes, qui dit les paradoxes et les amitiés, les solitudes dévastées et les familles retrouvées. La paix fragile d’un pays où les victimes vivent aux côtés de ceux qui ont tué leurs proches.
Ici, le récit personnel de Milan, qui apprend à vivre au Rwanda et à écouter les voix du passé, se mêlent aux témoignages des victimes des massacres. Ample et rythmée lorsque le narrateur évoque ses séjours et sa vie à Nyamirambo, la langue se fait sobre et précise lorsqu’il rapporte les exactions commises contre les membres de sa famille.
Car le récit de Gaël Faye n’est pas un roman sur le génocide. Il est celui d’un pays en quête de vérité et de paix. Celui d’une nouvelle génération qui n’a pas vécu les morts et les horreurs. Mais sur laquelle pèsent encore le tabou et le pardon difficile.
A travers la quête de Milan, on découvre, petit à petit, ce qui se cache derrière les silences des générations précédentes. L’histoire tragique d’un pays déchiré par l’horreur et la haine mais qui doit les dépasser sans les oublier.
– Tu y crois ?
– A la réconciliation et au pardon ? Non… Je suis une survivante. J’ai vu comment ces gens se sont comportés. Mais les procès sont absolument nécessaires pour les générations d’après. Pour Stella et toi. Grâce à ce que l’on fait aujourd’hui, vous arriverez à cohabiter avec leurs enfants. C’est mon espoir.
Si ce roman était une couleur, il serait le mauve. Celui de la couverture ornée du jacaranda, cette couleur réputée pour être difficile à assembler, à l’image du Rwanda. Mais aussi symbole de la douceur de la plante d’où lui vient son nom.
Car il flotte sur ce roman un espoir vivant et vibrant. Une musique entrainante qui porte les personnages, malgré leurs difficultés et leurs traumatismes, vers la vie.
Pourquoi lire Jacaranda ?
Vous n'échapperez pas à Jacaranda en cette rentrée littéraire et c'est tant mieux. En nous plongeant aux côtés de Milan, Claude et Stella, Gaël Faye réussit, une nouvelle fois, à dire les douleurs et les espoirs d'une génération rwandaise qui porte la mémoire des victimes et vit les difficultés du pardon au quotidien. Avec beaucoup de délicatesse et de sobriété, l'auteur déroule l'histoire de ce pays, de ces habitants tiraillés entre le désir de modernité et le souvenir des disparus. Un roman essentiel.
Pour lire nos chroniques de Le ciel dans la tête et Les impatientes