Christophe Lambert est un auteur jeunesse discret que j’apprécie tout particulièrement. Après Swing à Berlin et Les Messagères, sur les conseils avisés de ma libraire préférée, je me suis donc plongée dans son dernier thriller inspiré de faits réels : La Variante du dragon. Près de Washington D. C., en plein coeur de la 2nde guerre mondiale, une partie d’échecs très particulière se joue entre Markus, un jeune juif de 20 ans qui rêve de se venger des nazis qui ont tué son père, et Hans Reinhardt, un haut gradé allemand emprisonné dans un camp américain.
La vie, comme un jeu d’échecs
Markus Eisenberg est un jeune patriote déterminé. Il fait ses classes pour aller combattre les nazis en Europe. Alors, le jour où il est appelé dans le bureau du colonel Sink, il pense être envoyé combattre sur le front. Mais c’est une toute autre mission qui l’attend. Moins risquée mais loin d’être plus facile à accomplir.
En effet, ce sont ses talents de joueur d’échecs qui ont attiré l’attention des hauts gradés. Ils lui proposent de devenir le « chaperon » d’un Obermeister nommé Hans Reinhardt. Ce dernier est prisonnier dans un camp particulier près de Washington : le PO Box 1142.
Dans ce lieu sont maintenu sous surveillance stricte des hauts dignitaires ainsi que des scientifiques nazis qui bénéficient d’un logement confortable et de visites orchestrées par le gouvernement. Des visites dans le but de « fraterniser » avec eux afin de leur extorquer des renseignements cruciaux pour gagner la guerre.
Or, Hans Reinhardt a une passion pour les échecs et, malheureusement, a renvoyé tous les joueurs qui lui ont été opposés. Aucun n’a jamais réussi à le battre. Et il ne dira rien tant qu’il n’aura pas trouvé un adversaire à sa hauteur.
L’affaire avait été rondement menée. Abasourdi, Markus avait récupéré son barda en silence. Au fond de lui, il fulminait. Ses copains de régiment allaient le prendre pour un planqué, cela ne faisait aucun doute, et il ne pourrait les détromper. Jouer le jeu jusqu’au bout, c’était ça le lot des agents de l’ombre : Clark Kent maladroit au grand jour, et « super héros » en secret.
Sauf que Superman n’est pas chargé de prendre le thé et de manger des petits gâteaux en compagnie d’ordures de nazis, songea rageusement le jeune juif. Lui, il leur botte le cul, aux nazis !
Un peu à contrecœur, Markus accepte cette mission. D’autant plus qu’il a perdu son père lors de la nuit de Cristal en 1938.
Il retourne donc vivre chez sa mère et sa tante qui résident dans un petit appartement de Washington, sans leur révéler ce qu’il va faire réellement.
Dès lors, une obsession de Markus va petit à petit envahir son quotidien : vaincre son adversaire nazi. Au risque de se perdre lui-même…
Un scénario tactique
Depuis le Jeu de la dame, série Netflix sortie en 2020, je n’avais pas lu ou vu de fiction mettant en scène des joueurs d’échecs. Je me souviens évidemment du Joueur d’échecs de Stefan Sweig et l’on retrouve d’ailleurs cet aspect psychologique et philosophique du jeu de réflexion. La relation particulière entre les deux adversaires également.
Mais c’est surtout l’inspiration de vraies parties pour accompagner le scénario qui donne sa saveur au roman de Christophe Lambert. La variante du dragon s’appuie ainsi sur des parties modèles que le lecteur curieux pourra consulter en fin d’ouvrage.
L’auteur lui-même explique d’ailleurs dans sa note finale qu’il s’est beaucoup documenté. Il exploite ainsi au mieux les fulgurances et les retournements de situation de ces grandes parties.
Fort de cette dramaturgie tactique, le récit développe aussi l’intériorité du personnage principal, happé par la noirceur de son adversaire et par cette obsession de le vaincre. Au risque de perdre ceux qu’il aime et qui le rendent heureux, comme Rita, la serveuse dont il est amoureux, ou Olek, son « entraineur ».
Au quizième coup, Reinhardt avait sacrifié son Fou en f7. Six coups plus tard, les Noirs étaient contraints à l’abandon.
– Toujours aussi impulsif, mon jeune Juif, persifla Reinhardt en guise de conclusion.
Markus déglutit. Il avait douloureusement conscience de ses carences.
– Le sacrifice en f7, c’était bien joué, reconnut-il d’une voix morne.
– J’aime beaucoup les sacrifices, ajouta le nazi.
La complexité de l’âme humaine est particulièrement bien exprimée. Et le lecteur se retrouve pris dans les méandres de l’esprit et des émotions de Markus.
Ainsi, jusqu’à la dernière page, on croise les doigts pour que le jeune homme terrasse le dragon, au sens propre comme au sens figuré.
Pourquoi lire La variante du dragon ?
La Variante du dragon est un thriller original qui mêle faits historiques avec cette prison secrète de Potomac, camp de détention américain de nazis, et exploration des profondeurs de la psychologie d'un duel entre deux joueurs d'échecs. Une fois de plus, Christophe Lambert nous mène où il le veut dans ce récit aiguisé et tactique. Un roman à l'intrigue haletante sur fond de stratégie échiquéenne à ne pas rater !
Pour lire nos chroniques sur Le joueur d’échec et Fin de partie