L’univers viking m’a toujours attirée, depuis la mythologie nordique (merci aux Chevaliers du zodiaque qui m’ont initiée aux guerriers divins d’Asgard dans l’anneau des Nibelungen), en passant par les séries Netflix (Vikings et the Last kingdom) et les jeux vidéos (Assassin’s creed Valhalla et God of War). Mais je n’avais jamais lu de roman jeunesse qui prenne vie dans cet univers.
C’est donc avec une grande curiosité que je me suis précipitée vers la magnifique couverture du roman « Les Soeurs hiver » de Jolan Bertrand (aux éditions Neuf de l’Ecole des loisirs), illustrée par Tristan Gion.
J’ai trouvé, dès les premières pages, mes repères de lectrice dans l’univers mythologique et fantasy qui est présenté sur la double page cartographique. Ce monde dans lequel va évoluer Alfred, le jeune garçon farceur dont nous allons suivre l’aventure, à la recherche de son oncle Ragnar, reprend des lieux typiques des vikings : la grande halle du village de Brume mais aussi celle de la Grande, l’une des deux soeurs Hiver, qui donnent leur titre au roman.
Cependant, à y regarder de plus près, on y découvre aussi un campement same (peuple de Laponie) et une tente lavvu (sorte de tipi utilisé par ce même peuple pour suivre les élevages de rennes).
Et cette originalité ne s’arrête pas là.
Il ne faut, en effet, pas passer à côté de la dédicace de l’auteur à son neveu Robin, ni à côté de la précision concernant l’utilisation d’un pronom personnel neutre « ul/uls », qui désignera les trolls, peuple ni féminin ni masculin. L’histoire que nous offre Jolan Bertrand sera certes une aventure légendaire nordique mais elle ouvrira sur une réflexion très actuelle à propos d’identité et de genre.
Mais revenons à cette histoire : Alfred est un jeune garçon malicieux qui aime faire des farces aux habitants de Brume. Orphelin, il est élevé par sa grand-mère Brumilda, la cheffe du village, son oncle Ragnar, chasseur habile et artiste sculpteur, dont on apprend qu’il était « tante » avant qu’il n’annonce son identité masculine aux habitants et qu’un sortilège lui fasse pousser la barbe, et Sigmund le guérisseur, dont il est l’apprenti. Or, les temps du village sont troublés par un hiver rude et polaire qui dure depuis que Petite, la soeur Hiver de Grande, a disparu. Ajoutons à cela la disparition excessive de nombreux objets précieux aux yeux des habitants, volés par les trolls (sortes de petites créatures cailloux capables de porter plusieurs fois leur poids). La situation du village est donc inquiétante et les farces d’Alfred ne font plus rire personne.
Alors qu’il s’en remet à Loki, le dieu du chaos, et qu’il suit son oncle, lancé à la poursuite des trolls voleurs, Alfred va se retrouver pris dans une tempête. Il va plonger dans une aventure qui le transformera, au sens propre comme au sens figuré.
L’originalité de Jolan Bertrand permet en effet au récit de redonner vie et modernité à des personnages « classiques » tels que les trolls ou les divinités. L’univers mythologique nordique se pare, par exemple, de teintes japonisantes à travers le personnage de Petite, la soeur Hiver montée sur son grand renne blanc, avec son costume traditionnel sami, sorte de Mononoké, pleine de caractère mais qui est victime d’un sort d’oubli.
De même, la métamorphose d’Alfred en renard ou celle du dieu farceur Loki sous cette forme femelle, rappelle les kitsunes, esprits polymorphes qui aiment tromper les humains.
« Les soeurs Hiver » entrainera les jeunes lecteurs dans une aventure à la lecture fluide (le chapitrage est court et ils s’identifieront sans peine au jeune héros) mais elle leur apportera également une sensibilité aux liens qui unissent les personnages (les relations des deux soeurs, mais aussi celle d’Alfred avec Ragnar, sont particulièrement touchantes) et un réflexion sur la quête d’amour qui anime chacun des personnages, humains ou divins.