A l’origine, il y a la colère. Celle qui est attisée par le discours d’un candidat d’extrême droite à la présidentielle 2022, amplifiée par les « ça suffit ! » de la foule venue assister à son meeting. Celle qui brûle au coeur de Paul Gasnier, présent lors de ce meeting qu’il est venu couvrir en tant que journaliste, depuis l’homicide routier qui l’a privé de sa mère. Alors que ces deux colères auraient pu n’en faire qu’une, compte tenu du fait que le coupable du décès est un jeune délinquant récidiviste du nom de Saïd, la Collision est une enquête du fils de la victime pour comprendre comment deux vies et deux trajectoires si différentes ont pu se percuter ce soir du 6 juin 2012.


Entre drame familial et enquête sociétale
Comme il le dit lui-même dès le premier chapitre, Paul Gasnier aurait pu écrire ce récit autobiographique entre colère et tristesse. Mais il n’en sera rien. Parce qu’il est le fils d’une famille ouverte et éclairée. Parce qu’il est journaliste aussi.
Ce livre est le récit de cette collision, qui n’est ni un accident ni un meurtre. Une histoire française du début du XXe siècle, où deux destins parallèles voués à s’ignorer se sont percutés, dans un pays éclaté et malade.
Le récit entremêle chapitres consacrés à sa mère, au jour de sa mort, à son histoire personnelle, à son parcours et chapitres dans lesquels Paul Gasnier enquête sur le jeune coupable de l’homicide routier, sur sa famille et son entourage. Sans pathos ni froideur, il remonte les fils de leurs deux histoires afin de comprendre les raisons de cette collision.
La Collision est l’histoire d’un fils qui ne peut faire son deuil mais aussi celle de deux familles qui représentent, chacune à leur manière, une partie de l’histoire de la France actuelle, fracturée et dont les communauté sont souvent dressées les unes contre les autres.
Paul Gasnier cherche à donner du sens à cet événement qui a bouleversé sa vie et celle de sa famille. Pour ce faire, il va remonter le fil des témoins et acteurs qui ont côtoyé, de près ou de loin, les deux protagonistes de la collision. Témoins, policiers, juge, éducateur spécialisé et même la soeur de Saïd livrent ainsi leur vision et leurs ressentis.
Le choc, la peur, la douleur et l’incompréhension ressortent évidemment mais aussi le découragement, les regrets, la fatalité. Celle d’une société qui, collectivement, a failli et d’une famille que la mort a doublement endeuillée.
Entre pudeur et intimité
Paul Gasnier est journaliste et sa démarche d’écriture témoigne de sa quête de vérité et d’humanisme.
Mais il est aussi un orphelin, un fils endeuillé, qui n’échappe pas à la colère que provoque immanquablement un tel choc. Toute son écriture est donc cousue à la fois du fil de l’intime et de celui de la vérité. C’est d’ailleurs dans ce but qu’il rapporte, tels quels, des documents officiels. Appel à Police secours, interrogatoire de police, enquête de personnalité… Sans compter les entretiens accordés par des témoins officiels ou le déroulé du procès au Tribunal de Grande Instance de Lyon en 2013.
On découvre, au fur et à mesure des chapitres, la vie de la famille Gasnier mais aussi celle de Saïd, de ses parents, de ses frères et soeurs. Et, plus largement, du quartier lyonnais dans lequel ils vivent.
Le moment le plus fort reste sans doute celui de la rencontre entre Paul Gasnier et Hafsia, la soeur du coupable.
Hafsia […] s’était presque excusée de la poser, mais elle y tenait absolument : « Est-ce que… après tout ça… nous n’avez pas un dégoût de la communauté maghrébine ? » Je lui avais répondu que l’écriture permettait précisément de réinjecter de l’humain dans des histoires manichéennes, non pas pour diluer les responsabilités mais pour apaiser la colère et sortir du piège des sommations qu’exigeait l’époque. Et qu’il y avait urgence à faire cela au moment où des présentateurs tirés à quatre épingles se repaissaient du moindre fait divers dans lequel de jeunes descendants d’immigrés étaient impliqués.
A la lecture de ce récit, on ressent tout l’amour d’un fils pour sa mère. Pour la femme qu’elle était et pour l’éducation qu’elle a offert à ses deux enfants. On perçoit aussi la difficulté de lutter contre les réalités sociétales violentes qui transpirent aux travers des mots des éducateurs, des policiers de quartier et de la famille du jeune Saïd. Les parcours houleux, l’argent de la drogue, la main mise des quartiers sur ces jeunes qui échappent parfois à leurs proches.
Lucide et bouleversant, Paul Gasnier nous mène, sans faux semblants, au coeur de cette complexité qui fait notre société actuelle. Au-delà des a priori et des jugements à l’emporte-pièce. A la recherche d’un équilibre bien difficile à trouver.
Pourquoi lire la Collision ?
La Collision est une enquête autobiographique, à la croisée de l'intime et du sociétal. C'est surtout le récit d'un chemin complexe vers le deuil et le pardon. En racontant les parcours si différents de sa mère et du jeune qui l'a percutée et tuée en 2012, Paul Gasnier pose un regard humaniste et clairvoyant sur ces mondes qui cohabitent sans se voir. Et qui se sont percutés fatalement lors de cette collision. Il évoque évidemment la quête de sens et de justice qui l'anime mais aussi la compassion et la dignité. Une lecture qui interroge et cherche un équilibre constant, contre les raccourcis des idéologies extrémistes et les discours sécuritaires.


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