Le carnaval des cadavres (Mike Mignola)

Le carnaval des cadavres & autres contes étranges de contrées inconnues est une anthologie de huit contes fantastiques autour d’un monde en construction.

À la découverte d’une nouvelle contrée

Univers gothique

Depuis plusieurs années, Mike Mignola se disait en « retraite ». Il nous laissait l’opportunité de quelques couvertures alternatives pour le plaisir des yeux et d’une brève histoire dans Petits contes macabres d’Eric Powell mais le deuil était consommé.
Nous ne reverrions plus le maître sur une série d’ampleur tel qu’Hellboy .
Du moins ce que nous pensions…

Car il est difficile pour un créateur aussi brillant que Mike Mignola de laisser ses crayons dans les tiroirs.
Griffonnant ses carnets de multiples croquis, allant de la simple pièce de manoir à la créature légendaire, il ne fallu pas longtemps pour se poser cette simple question : que faire de cette immense bible graphique ?
C’est ainsi qu’avec son compère Ben Stenbeck, une idée vint à germer. Et si on créait un tout nouvel univers ?
La concrétisation de cette idée ne se fit pas attendre.
En effet, Mike Mignola, façonneur de monteur, se lance dans l’aventure et crée un monde peuplé de contrées inconnues, de mythes et de légendes à découvrir.

Ainsi est né le Carnaval des Cadavres !

Entre folklore et mythologie

Créatures effrayantes et narrateur hors normes

Le Carnaval des Cadavres se compose de 8 récits, sans aucun personnage récurrent mais avec une unité de lieu commune : les contrées inconnues.

Grand amateur de littérature fantastique, il puise ses inspirations dans des formes multiples.
Les récits sont courts et l’écriture reprend les codes du conte, quitte à être parfois brutal dans ses transitions. L’ambiance est prenante et apporte tout le charme gothique à des histoires, certes classiques mais parfaitement exécutées.
Si les récits sont brefs, ils n’en sont pas pour autant redondants.
Mike Mignola module ses structures, multipliant les narrateurs et variant les façons de raconter ses histoires.
Si l’ensemble peut paraître déstructuré, il symbolise bien l’idée d’un puzzle qui se construit, pièce par pièce, sous nos yeux.

Quille et squelettes sert de point de départ au projet. La nouvelle tire son inspiration d’un conte populaire italien mettant en scène un jeune homme qui, après un pari face à des spectres, gagne un étrange butin.
Bien mal acquis prend sa source vers le continent asiatique. Réécriture d’un conte japonais, Mike Mignola revisite habilement le récit de maison hantée.
Le vétéran et le roi Kobol pourrait être un hommage à la prose de J.R.R. Tolkien. En réalité, il trouve son inspiration dans une oeuvre qui était inconnue : Darby O’Gill.
Création d’Herminie Templeton Kavanagh, les histoires de Darby O’Gill ont été adaptées en 1959 par Walt Disney dans un long métrage réalisé par Robert Stevenson.
Cette petite histoire de farfadets devient, sous la houlette de Mike Mignola, un récit de fantaisie, retrouvant une sauvagerie oubliée.

On y retrouve un amour du grotesque. Ainsi, les animaux ont une présence peu commune, de simple à narrateur à observateur un peu cynique de ces aventures humaines.
Il apporte un décalage amusant avec les créatures du folklore, vampires sanguinaires ou féroces loups-garous.

Ces récits sont indépendants les uns des autres mais certains servent à mettre en branle les bases d’un monde nouveau.
Souffle du Dragon et la naissance du monde explorent le mythe créateur. Ils développent une mythologie emplie de Dieux Fondateurs et de Déesses de la vie. Si, pour le moment, l’opposition entre l’abandon des Dieux et la résistance des déesses reste symbolique et le signe du progressisme de son auteur, laissant pour une fois la part belle à la gente féminine.

Enfin, Les contrées inconnues propose une cartographie dense et précise des différents lieux qui pourront être visités dans les suites à venir. Et on peut dire que le voyage ne fait que de commencer !

Le retour du maître

Des images purement graphiques

Depuis Hellboy In Hell, Mike Mignola avait plus ou moins délaissé sa table à dessin.
Même si on pouvait encore admirer son travail sur certaines couvertures, il semblait moins inspiré, plus en mode automatique.
Soyons honnête, c’était déjà le cas sur Hellboy in Hell.
Son style était irréprochable et il reste un des grands maîtres du noir et blanc. Mais ses lignes étaient beaucoup plus étriquées, l’encrage plus massif, prenant le pas sur des arrière-plans quasi vides.
Et même ses constructions laissaient transparaître une forme de redondance.

Avec Le Carnaval des Cadavres, on a l’impression de redécouvrir un auteur en pleine phase euphorique de création.
En réalité, il n’a jamais réellement cessé de dessiner. Il avait même l’intention de se mettre à la peinture, sorte d’évolution logique pour tout artiste de génie.
Mais quand l’inspiration t’appelle, tu ne peux guère l’ignorer.

Les décors sont magnifiques et on redécouvre ce plaisir de zieuter ses arrière-plans pour en admirer le moindre détail caché.
Les créatures, quoique classiques dans leur forme, ont une présence folle et la narration reprend à merveille les codes du conte.
Personnellement, j’ai l’impression de retrouver le Mike Mignola de la grande époque. Celui dont l’amour de la prose et du dessin coule dans l’encre de chacune de ses planches.
Comme diraient certains, il a retrouvé son « Mojo » et c’est un régal pour les yeux.

Quant aux couleurs, on ne peut qu’une nouvelle fois féliciter le talent de Dave Stewart. Il propose des ambiances chromatiques en aplat et en totale adéquation avec les dessins de Mike Mignola.
Ces deux-là se connaissent depuis des années et leur complicité est éclatante.
Ainsi, la scène de la forêt dans le Réconfort des dieux en est une merveilleuse expression.

En résumé

Le Carnaval des Cadavres signe le grand retour de Mike Mignola en tant qu'auteur complet. 

À l'instar des premiers Hellboy, on découvre un nouvel univers en pleine construction, composé de multiples histoires venant apporter leur pierre à cet immense édifice.
Si les récits restent brefs, ils forment un ensemble cohérent et réjouissant, symbolisant les multiples inspirations de son auteur.

Entre contes, mythes et légendes, le Carnaval des Cadavres est aussi une merveille graphique.
Mike Mignola semble avoir retrouvé son mojo et propose une prestation de très grande qualité, dense et particulièrement graphique.

L'oeuvre est généreuse, même si, pour le moment, ce n'est qu'un simple recueil de nouvelles.
Cependant, ne faut-il pas en attendre plus ?
Bulles carrées

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