15 ans après avoir échappé à un assaut de l’alliance de la libération des animaux, Charlie s’apprête enfin à entrer au lycée.
Or, ce n’est pas vraiment un adolescent comme les autres.
C’est un humanzee, hybride entre l’homme et le chimpanzé, élevé jusque là par des parents humains dans un espace protégé.
Il est temps pour lui de se confronter au monde qui l’entoure et d’éviter l’incident.
Darwin’s incident : écriture et graphisme audacieux
Darwin’s incident est un manga qui résonne fortement avec le monde qui nous entoure.
C’est d’ailleurs ce qui charme en premier lieu avec l’intrigue de Shun Umezawa.
Même si la nature de Charlie peut paraître extrême, le monde que nous décrit le mangaka est d’une cohérence exemplaire.
Les thématiques sont nombreuses et les réflexions engendrées par certaines situations nous amènent à faire preuve d’une ouverture certaine.
Cependant, Shun Umezawa ne s’est pas contenté de faire de sa série une simple estrade à un discours idéologique nécessaire mais forcement clivant.
Au contraire, si l’histoire de Charlie passionne, c’est aussi parce que le mangaka a su insuffler du rythme et de la tension allant jusqu’à complètement nous retourner à partir du tome 4.
Thriller psychologique mais aussi d’action , Darwin’s incident réserve à ses lecteurs son lot de scènes d’action, de retournements de situation et autres coups de théâtre.
Sans pour autant les comparer, il y a dans l’écriture de Shun Umezawa, quelques points communs avec celle de Naoki Urasawa, notamment à l’époque de Monster.
Est-ce ce faux rythme qui cache un sentiment de manipulation constante ? Ou bien le charisme assez saisissant de ses méchants ? Il y a un peu de Johan dans Max, vous ne trouvez pas ? et que dire d’Omelas qui vient frapper de plein fouet la destiné de Charlie ?
En tout cas, c’est une des grandes qualités du manga : elle reste facile d’accès.
Si les sujets dont il traite semblent s’adresser avant tout à un public ado/adulte, le mangaka évite de tomber dans un imbroglio idéologique moralisateur.
Un graphisme de plus en plus maitrisé
Le graphisme de Shun Umezawa reste classique.
Un trait fin, peu poussé en terme d’encrage, mais qui laisse, au final, toute la place à la fluidité de sa mise en page, que ce soit lors des phases d’action ou lors des nombreuses scènes de dialogue où l’auteur multiplie les gros plans, démontrant un talent certain dans l’expressivité de ses personnages.
On notera une nette amélioration sur le tome 6 qui offre des scènes absolument bluffantes. Le trait gagne en maitrise, les décors s’affinent ainsi que le réalisme de ces personnages.
les postures de Charlie sont d’ailleurs la preuve d’une grande expertise de son auteur.
Darwin’s incident et son propos écologique et sociétal
différence et tolérance
Charlie est plutôt du genre à attirer l’attention.
Il faut dire que son existence n’a jamais été cachée et que la nature même du personnage pose de multiples questionnements.
Pendant longtemps, il a été protégé dans un univers cloisonné par des parents adoptifs aimants.
Mais ces derniers connaissent et craignent, à raison, les dangers du monde extérieur.
Les premiers jours au lycée, se font dans la solitude.
On l’épie, on chuchote dans son dos mais on ne le côtoie pas.
Or, petit à petit sa présence va agacer.
Autant pour ce qu’il est que pour ce qu’il véhicule.
Car, en tant qu’hybride, Charlie est végan.
Dans le sens où, comme il l’explique très bien, il a été élevé ainsi et qu’il ne s’est jamais posé la question du besoin de viande.
Or, être vegan suffit à amener de l’animosité envers soi surtout dans ce royaume du barbecue que sont les Etats-Unis.
Cependant, le propos de l’auteur, au delà du véganisme, est symptomatique de toutes les situations d’intolérance.
Au fond, la situation de Charlie n’est pas tellement différente de celles des premiers étudiants noirs américains.
Il dérange (et fait peur) par sa différence.
Heureusement pour lui, il n’est pas le seul à se sentir à part.
Lucy (le choix du prénom n’est certainement pas anodin) n’est pas plus à sa place parmi ses congénères.
C’est sans doute ce qui va les rapprocher, au point de devenir petit à petit un binôme inséparable.
Elle s’avère être un soutien de taille.
N’ayant pas sa langue dans sa poche, elle met le doigt là où ça fait mal quitte à se mettre en danger.
Cette relation évolue au fil du temps et les amène, ainsi que leur entourage, à se poser la question de leurs sentiments réciproques.
Ecologie et éco-terrorisme
Darwin’s incident est un manga qui prend fait et cause pour la cause animale.
Charlie est végan mais à aucun moment il ne cherche à imposer son mode de vie aux autres, même s’il n’est pas du genre à prendre des pincettes lorsqu’il débat avec ses contradicteurs.
A partir du moment où on aborde ce sujet avec lui, il s’en saisit et pousse la réflexion vers des limites qu’un humain n’aurait sans doute pas osé dépasser.
Charlie : » Allez y, ne vous gênez pas pour moi.
Vous pouvez manger tout ce que vous voulez.
Du poulet, du boeuf, du porc, du poisson et même de l’humain…
Etudiant : » Comme si les humains pouvaient se bouffer entre eux !? »
Charlie : » Pourquoi les humains sont-ils les seules créatures que l’on a pas le droit de tuer dans le but de les manger ? »
« Si c’est parce que vous ne voulez pas les faire souffrir ou leur ôter la vie alors ça devrait s’appliquer à toutes les créatures sensibles dotées d’un système nerveux … »
Derrière les interrogations cyniques de Charlie se cache un véritable débat de société.
Et c’est là toute la force du raisonnement de Shun Umezawa.
En quoi l’humain est-il si spécial qu’il peut se permettre ce que d’autres espèces ne peuvent pas faire avec lui ?
Un propos qui, poussé à l’extrême, amène aux actions de l’alliance de libération des animaux.
La violence pour imposer le changement.
Là aussi, le manga de Shun Umezawa est terriblement d’actualité.
Peut-on servir un objectif, aussi louable soit-il, en usant de violence ?
La question se pose de plus en plus dans notre société et sans en arriver, pour le moment, aux actions de l’organisation de Max, on voit bien que la radicalité devient majoritaire même dans le domaine écologique.
De son côté, et cela ne fait aucun doute, Shun Umezawa rejette et critique cette méthode.
Déjà, c’est contre-productif en terme d’image : Charlie n’aura de cesse d’être jugé pour des actions qu’il n’a pas commis. Pire, on mettra en doute sa sincérité car, selon les rumeurs , il pourrait être du même camp que les extrémistes.
Le tome 2 de Darwin’s incident est assez exemplaire à ce niveau-là.
Tout en développant son message, Shun Umezawa démontre qu’une organisation de la sorte use au final de méthode peu recommandables.
Max n’hésite pas à user de la violence et à tuer tous ceux qui pourraient s’opposer à sa vision.
Au final, il utilise les mêmes méthodes que le terrorisme islamiste, manipulant les esprits les plus faibles, prêt à se sacrifier pour la « cause ».
Au fil des tomes, nous en apprendrons de plus en plus sur cette organisation, nous amenant à découvrir un personnage au dessus de Max qui rabat considérablement les cartes : Omelas.
D’une certaine façon, Omelas est le côté pile alors que Charlie est le côté face .
Font-ils pour autant partie de la même pièce ? C’est toute la question.
En résumé
Darwin's Incident de Shun Umezawa nous plonge dans une intrigue passionnante aux multiples rebondissements tout en questionnant notre rapport à la cause animale.
Si certains y verront du prosélytisme vegan, le mangaka évite les amalgames.
Il ne cherche pas à imposer ses opinions mais nous amène juste à nous poser les bonnes questions.
A contrario, il fait de l'éco-terrorisme le véritable ennemi de la cause en cherchant à atteindre son objectif quelles que soient les pertes encourues.
Par ce biais, Shun Umezawa regrette que la violence ait plus d'impact que le débat et se fait le défenseur d'une société qui perd peu à peu ses repères.
Au bout de 6 tomes, le manga prend clairement une direction plus thriller injectant une tension palpable notamment sur les derniers tomes.
La série propose autant de grands moments divertissements qu'une réflexion mesurée sur le monde qui nous entoure.
Prix et récompenses
- Prix ACBD Asie – 2023
- 1er prix du Grand Prix du Manga – 2022
- Prix d’excellence du Japan Media Arts Festival – 2022
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