Le Royaume des 5 terres est un monde en « paix ».
Entourée de 4 îles, Ermal, Ithara, Arnor et Lys, la cité féline d’Angléon domine le royaume de par sa position centrale.
Les 5 terres englobent chacune de ces cités.
Un projet pharaonique
Les 5 terres est une saga éditoriale ambitieuse.
Série fleuve d’héroic-fantasy orchestrée de main de maître par David Chauvel, le projet relève presque de l’ovni.
Surtout à une époque où les romans graphiques ont pris l’avantage sur les séries.
L’idée de base est simple : créer une fresque magistrale composée de 5 cycles de 6 tomes chacun, ce qui amènerait la série à un total de 30 albums.
Sans compter les potentiels projets de spin off.
Ambitieux, on vous dit !
Surtout que la régularité de publication (tous les 4 mois) oblige à un travail en équipe digne des studios américains : Lewelyn, un trio de scénariste ( Andoryss , Chauvel et Wong), Didier Poli pour la conception graphique, Jérome Lereculey au dessin, Lucyd à l’encrage (seulement sur les premiers volumes) et Dimitris Martinos à la couleur.
Une véritable entreprise graphique qui fascine autant qu’elle effraie.
Le marché francobelge n’étant pas adepte de ce genre de projet, on pouvait craindre une lassitude de la part des lecteurs comme des auteurs.
Pourtant, à la conclusion du premier cycle, on peut déjà annoncer que le pari est en partie gagné.
Cycle 1 : Agleon
Le vieux roi Cyrius est aux portes de la mort et sa succession devient problématique.
L’héritier légitime, le terrible Hirus est en bonne voie pour reprendre la couronne.
Mais ses ambitions font craindre le pire pour un apaisement entre les différentes cités du royaume.
Des tractations se mettent en place afin d’éviter le pire.
Mais le pire se cache peut être ailleurs.
A première vue, l’univers des 5 Terres n’a rien d’original.
Un monde composite, une race animale par royaume et un décorum médiéval.
Un classicisme qui peut rebuter mais c’est justement dans la maîtrise totale des codes de la fantaisie que réside la véritable force de la série.
Et si les auteurs restent, sur la forme, assez sages, c’est pour mieux nous surprendre sur le fond.
D’ailleurs, David Chauvel et Jérôme Lereculey nous avaient déjà fait le coup avec leur collaboration précédente, Wollodrin.
Une oeuvre qui s’appropriait les codes établis par J.R.R. Tolkien pour mieux les détourner.
Avec les 5 Terres, l’idée est la même mais la référence est plus actuelle.
Tolkien laisse sa place à Georges R.R. Martin et à ses manigances politiques.
Politique et coups tordus
Si Game of Throne a marqué les spectateurs par sa violence et sa nudité, on en oublierai presque qu’elle est surtout remarquable pour son approche politique.
Et c’est justement sur ce point que les 5 terres se démarque des autres séries de fantaisie.
Peu gourmande en scènes d’action ou en parties de jambes en l’air, elle préfère se concentrer sur cette guerre de succession.
Alors que le roi se meurt, les dessous de table, les petits arrangements et autres trahisons sont de rigueur.
Chacun étant d’ailleurs de bonne foi, pensant faire le bien du royaume.
Si Hirus est persuadé que le royaume d’Angleon ne peut récupérer son prestige que par la guerre, la princesse Mileria est persuadée du contraire et se prépare à la plus improbable des alliances pour empêcher son cousin d’accéder au pouvoir.
Amour, famille, tradition et politique se mélangent dans un cocktail explosif.
Et, alors qu’on imagine le pire, le cliffhanger du premier volume cloue le lecteur(rice) par sa brutalité inattendue.
D’ailleurs, les cliffhangers feront partie des marqueurs de la série qui ne cesseront de se diriger vers des chemins insoupçonnables.
À partir du tome 3, le destin du royaume prend un tournant inédit.
Cette « stabilité » politique permet au récit d’aborder des thématiques diverses telles que la liberté d’expression, la démocratie ou le rôle des hommes d’état dans un changement de longue durée.
Sans jamais tomber dans la facilité, les auteurs n’en oublient pas pour autant de développer leur immense casting dont certains comme Mederion ou, dans un autre genre, Kirill, marqueront les esprits par leur évolution constante.
Avec ce premier cycle, Lewelyn propose une fantaisie de qualité digne de son inspiration originelle.
Cycle II : Lys
Alors que Keona est de retour au royaume de Lys et se prépare tant bien que mal à réintégrer la vie politique, les rues de la capitale Alysandra sont en pleine effervescence.
Après quelques années en prison, Alissa Kolire, héritière du clan du Sistre, tient à reprendre sa place et imposer sa loi.
Quitte à laisser de nombreux cadavres derrière elle.
Mafia et guerre intestine
D’une certaine façon, ce second cycle des 5 Terres a la lourde tâche de confirmer les qualités du premier tout en assurant la continuité de la série.
Car, pour rappel, le cycle de Lys n’est que la seconde étape d’une aventure qui en comptera 6.
En somme, on n’est à peine à la moitié et il faut absolument éviter que la lassitude pointe le bout de son nez.
À priori, après avoir exploré le régime d’Aeglon, il était normal de s’attendre à la même chose avec celui de Lys, dont les inspirations asiatiques promettaient une forme de renouveau.
Surtout que l’arrivée de Keona, en forme de lien entre les deux cycles, est assez astucieuse.
Mais le trio Lewelyn n’est pas du genre à se contenter d’aussi peu.
Et ce qui surprend d’emblée à la lecture des premiers tomes de ce cycle, c’est son changement d’atmosphère.
Si Game of Thrones était le modèle du cycle d’Aeglon, il faut regarder du côté des films de mafieux pour celui-ci.
Entre guerre de territoire, relation familiale tendue, policier chevronné et trahison, les codes du genre sont bien présents.
Malgré cela, on y retrouve certains points communs tant les jeux du trône sont proches de ceux des gangs.
La famille joue un rôle prépondérant dans les relations, notamment au sein du clan des Sistres.
La famille est au dessus de tout. On accepte les excès de ses membres et les contradictions n’amènent jamais à des règlements de compte internes.
Cela n’empêche pas certaines décisions d’impacter fortement la famille.
Car soyons clairs, comme pour le premier cycle , il y aura des morts et pas des moindres mais celles-ci seront moins brutales et inattendues.
L’intérêt est plus dans la réponse !
Le cycle de Lys aurait pu perdre en intensité.
Au contraire, on reste captivé par ce jeu de dames.
Chaque élément, chaque personnage apparemment anodin, aura sa place dans un acte final explosif et, pour le coup, vraiment inattendu.
Sur le dernier album, une vision d’ensemble commence à percer et on est impatient de voir comment les auteurs vont exploiter cela sur le troisième cycle.
Des spin off complèmentaires
Alors que la cité d’Angleon et celle d’Arnor se font la guerre, l’île d’Etyra veut garder une neutralité dans le conflit.
Mais quand le peuple ours d’Arnor accoste sur l’île, des dissensions apparaissent.
Si la noblesse choisit la collaboration, une résistance se met en place.
Demeus Lor, ancien membre de la garde royale d’Angleon, se doit d’assumer son rôle de héros.
Mais quelle est la meilleure décision à prendre pour protéger la population d’Etyra ?
Réflexion profonde sur l’héroïsme
Nous l’avions déjà mentionné dans le premier chapitre mais le projet des 5 terres est une saga d’ampleur.
Or, ajouter un spin off dans une oeuvre déjà conséquente, c’est prendre le risque d’une overdose.
Malgré tout, la saga a mis en scène un nombre important de personnages dont certains n’ont pas eu les développements escomptés.
Demeus Lor en fait partie.
Rétrospectivement, ce jeune félin qui a ouvert puis conclut le premier cycle n’a peut être pas eu le rôle que lui prédestinaient les auteurs.
D’où une certaine frustration amenant donc à ce récit.
Au vu du contexte et de ce que l’on connaissait de Demeus Lor, on s’attendait à la révélation d’un héros.
Le personnage en a toutes les caractéristiques mais certains de ces choix lors du cycle Angleon nous poussent à relativiser cette approche.
D’ailleurs, ce spin off s’avère bien plus profond dans sa réflexion démontrant la complexité même de ce personnage.
On y retrouve toute l’ambiance et la qualité d’écriture du premier cycle. Trahison, conspiration et résistance amènent Demeus à se poser cette simple question : quel est le rôle d’un véritable héros ?
Convaincre la résistance de combattre pour la liberté même si l’affrontement semble perdu d’avance ou se résigner pour protéger la population d’un massacre ?
Choix ô combien cornélien qui ne peut avoir de réponse qu’à sa conclusion aussi inattendue qu’amère.
L’approche de Demeus Lor est réjouissante de par sa prise de risque, amenant le récit vers une direction qu’on n’attendait pas.
Si le héros est de retour, les auteurs préfèrent explorer la complexité de ce rôle plutôt que son imagerie chevaleresque.
On comprend petit à petit son mode de réflexion, expliquant au demeurant certains de ses choix passés.
Est-ce que cela comble la frustration ? Je ne suis pas sûr, surtout que la conclusion pousse à des développements futurs.
On espère donc revoir le personnage, peut être au sein d’un futur cycle.
Affaire à suivre.
Un travail de studio
Une équipe originale expèrimentée
Jérôme Lereculey a la capacité de dessiner n’importe quoi avec une aisance déconcertante.
Du coup, voir cette armada d’auteurs, aussi talentueux soient-ils, pour l’épauler, peut paraître aberrant.
Mais tenir une telle cadence de production aurait été infernal pour lui et ce soutien semble primordial pour assurer une certaine qualité graphique.
D’ailleurs ,on pourra s’émerveiller des recherches de Didier Poli, réunies dans un carnet graphique à la fin du tome 1, qui offre une véritable richesse à l’univers des 5 terres.
Au début de la série, Jérôme Lereculey ne semble pas totalement à son aise.
Il faut dire que l’encrage semblait poser quelques problèmes et ne rendait pas véritablement honneur aux crayonnés du dessinateur.
Le départ de Lucyd permet au dessinateur de retrouver le contrôle total de son dessin.
Héritage graphique pour les spin off
Qu’il n’est pas facile de prendre le relais de Jérôme Lereculey, même sur un spin off !
Pour Demeus Lor, le choix s’est porté sur Sylvain Guinebaud qui est loin d’être un débutant.
Habitué des récits de genre, il a collaboré avec David Chauvel sur l’anthologie Sept et dernièrement sur Robilar ou le maistre chat.
Et, en toute franchise, le résultat de cet album est plutôt convaincant.
Certes, nous n’avons pas la précision du trait de Jérôme Lereculey mais il réussit à retranscrire à la perfection cet univers anthropomorphe, aidé en cela par l’omniprésent Didier Poli à la direction artistique et par la couleur de Dimitris Martinos, permettant de garder une unité graphique.
Ce spin off est, une nouvelle fois, la preuve d’une véritable réflexion graphique.
Cependant, si d’autres récits devaient voir le jour, on croise les doigts pour une vision peut être plus originale, laissant de la place à la patte graphique d’un auteur.
Car si le fond reste surprenant, la forme est sur la réserve.
En résumé
Les 5 terres est une saga riche et passionnante.
Derrière l'imagerie d'une fantaisie classique se cache un scénario redoutable où les petites manigances se concluent souvent de façon dramatique.
Les auteurs ont construit un monde riche et varié, faisant en sorte que l'architecture politique, religieuse et économique soient la plus cohérente possible.
Ce cadre est un parfait écrin pour les nombreux coups de théâtre égrainés tout au long de l'intrigue.
Les 5 terres est, sans conteste, la meilleure série fantaisie du moment.
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