Inti Flynn, l’héroïne de Je pleure encore la beauté du monde, est une biologiste pas comme les autres. Spécialiste des loups, elle participe à un programme de réintroduction en Ecosse, dans les Highlands, dans l’optique de restaurer l’écosystème de la forêt. La tâche s’avère ardue car les locaux ne perçoivent pas d’un bon oeil la présence de ces prédateurs près de leurs troupeaux. Alors quand elle découvre le cadavre d’un homme dans la forêt, elle décide de tout faire pour sauver les loups qui ne vont pas manquer d’être accusés.
Qui sont les monstres ?
Inti Flynn est une femme qu’on n’oublie pas. Narratrice du roman, elle nous plonge d’emblée dans ses expériences sensorielles.
On avait huit ans le jour où papa m’a coupée en deux, de la gorge jusqu’au bas ventre.
Dans une forêt des territoires sauvages de la Colombie-Britannique se tenait son atelier, rempli de poussière et puant le sang. Il y faisait sécher des peaux de bête accrochées çà et là, qui balayaient nos fronts quand on se faufilait entre elles. J’avais déjà des frissons à l’époque, alors qu’Aggie avançait devant moi, un sourire malicieux aux lèvres, tellement plus téméraire. J’avais passé plusieurs étés à me demander ce qui pouvait bien se tramer dans cette cabane mais tout à coup, j’avais très envie de déguerpir.
Il avait attrapé un lapin et même s’il nous emmenait crapahuter avec lui dans les bois, il ne nous avait jamais montré l’acte de tuer.
Très vite, on découvre l’affection neurologique qui rend sa vie difficile : la synesthésie visuotactile.
Ce trouble lui fait ressentir très intensément les émotions et la douleur que vivent les autres êtres qu’elle regarde. Une sorte d’empathie puissance 1000. Elle est très proche de la nature et préfère s’isoler auprès des animaux plutôt que de fréquenter les humains.
De plus, elle entretient un lien puissant avec Aggie, sa soeur jumelle, dont elle ne se sépare jamais. Elles ont même développé un langage qui leur est propre et leur permet de communiquer en silence.
Quand s’ouvre le roman, on les retrouve toutes deux dans les Highlands avec l’équipe de chercheurs qui accompagne la réintroduction d’une meute de loups dans la forêt.
Des tensions vont très vite survenir entre la population, et notamment les éleveurs, et les scientifiques qui protègent les loups. Inti apparait alors comme une médiatrice, veillant à ménager sa meute, sans pour autant hésiter à remettre à leur place certains hommes menaçants.
Et c’est justement l’un d’eux qu’elle va retrouver mort près de chez elle, dans la forêt…
A la manière d’un thriller écologique, Charlotte McConaghy va à la fois nous faire vivre cette enquête qui permettra d’identifier le ou les coupables de cette violente agression mais aussi nous révéler l’histoire familiale d’Inti et les liens indéfectibles qui l’unissent à sa soeur.
L’homme est un loup pour l’homme… et pour la femme
La grande force de ce roman tient dans l’entrelacement de plusieurs thématiques.
Tout d’abord, celle de la défense de l’environnement et de la puissance menacée de la nature. Les descriptions de la forêt, de la meute et des liens qui se sont tissés entre la narratrice et les loups sont intenses. Le combat de cette femme pour défendre « ses » loups est admirable et, évidemment, les humains paraissent souvent bien plus sauvages et cruels qu’eux.
Cela fait deux semaines que Numéro Six, la femelle alpha, et sa meute tronquée hurlent à la mort sans interruption, du crépuscule jusuqu’à l’aube. Ça rend dingues tous ceux qui les entendent. Je reçois chaque jour des appels téléphoniques de personnes habitant à des kilomètres à la ronde, qui me demandent sans ambages de al faire taire. Comme s’il s’agissait de mon chien que je n’avais qu’à mieux éduquer. J’essaie d’expliquer que c’est une bête sauvage qui vient de perdre son partenaire. Mais l’idée qu’un animal puisse pleurer son compagnon d’une manière aussi perturbante, presque humaine, est insupportable pour al plupart des gens. Aucun de nous ne peut s’empêcher de vibrer en l’entendant hurler de la sorte.
C’est d’ailleurs la deuxième thématique de ce roman : les violences faites aux femmes et particulièrement dans le contexte conjugal. L’emprise de l’homme sur sa femme, les silences et les gestes brutaux sont d’autant plus évocateurs qu’Inti ressent tout intensément et physiquement.
Enfin, l’amour des deux soeurs jumelles, leur communication si particulière et leur relation fusionnelle illumine le roman. On appréciera d’ailleurs de plus en plus ce duo au fur et à mesure que l’on découvrira leur histoire familiale et leurs traumatismes communs.
Tout le talent de scénariste de Charlotte McConaghy s’exprime dans cette histoire qui oscille entre violence et amour, entre vie et mort.
Pourquoi lire Je pleure encore la beauté du monde ?
Je pleure encore la beauté du monde de Charlotte McConaghy est un livre dont on ne sort pas indemne. Longtemps ces soeurs, ces loups, ces paysages et ces blessures indélébiles nous hantent. Dans un thriller écologique qui dénonce à la fois les hommes qui détruisent la nature tout autant que les femmes, l'autrice nous fait la preuve que seul l'amour peut sauver notre monde.


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