A chaque nouvelle lecture d’un roman de la collection « Petite poche » chez Thierry Magnier, je découvre une pépite. Avec ce titre à rallonge « La vie épique de Monsieur Gaston Baline et son ami Bernard Lafeuille« , Hanno, auteur et illustrateur jeunesse, récompensé par le prix Sorcières en 2005 pour « Sur le bout des doigts », tape juste.
La jeune fille et la mort
Un cimetière. Deux personnages autour d’une fosse. Toine, le grand-père, creuse. Assis près de lui, prêt à lui rouler une cigarette, son petit-fils le regarde avec admiration.
– Toine !
Il revient à la surface. Ses yeux sont rouges. Et luisants. De sa poche de chemise, il sort un paquet de tabac, un petit étui de feuilles à rouler, et me les jette. J’ai toujours aimé les défis.
Si le silence règne, si les gestes sont lourds, c’est que c’est un père et un fils qu’ils se préparent à enterrer.
Le garçon a une dizaine d’années. Son grand-père est fossoyeur, alors il connait son métier. La tombe sera au cordeau. Mais enterrer son propre fils et voir son petit-fils sans papa, ça n’a rien de mathématique. Même si la mort « c’est la vie », on aimerait parfois pouvoir en arrondir les angles.
En attendant, ils ont creusé une « cabane renversée » pour le père, un « bel endroit où on n’ira pas« . Et alors que Toine s’endort pour une pause bien méritée, le petit garçon fait une étrange rencontre : Jasmine.
Elle, si elle erre dans ce cimetière, c’est parce que sa maman y est enterrée depuis deux ans. Et elle s’y connait en tombes et en épitaphes.
Les morts et les vivants
Alors que les deux enfants se baladent à travers les allées, entre les tombes « qui en jettent » et les fleurs en plastique, leur conversation oscille entre remarques humoristiques et réflexions philosophiques à propos des morts.
« -Ils continuent. Pas là-dessous dans leur boite, non.
Ni dans un ailleurs imaginé par des vieux barbichus du temps des cavernes. Non, bien plus profond. Et léger. Au-dedans de nous. Nous qui aimions jouer avec eux. Faire le couscous. Jeter la bille. Ils sont là. Dans nos souvenirs, oui, mais aussi dans ce qu’on est nous. Aujourd’hui, tout entier.
Dans notre peau, dans nos os. Dans nos envies, nos rêveries, dans nos pleurs, dans nos rires. «
Et, l’air de rien, tout est dit.
« Quand t’as un mort en dedans, modelé ou pas, c’est pour la vie »
On l’aura compris, ce petit roman est une bouffée d’air, une respiration entre deux silences mortels. La langue d’Hanno est simple et douce, familière et touchante. Les mots des deux enfants, comme du grand-père, sont comme les billes colorées d’amour, jetées dans le trou de la fosse où les cendres du père vont être déposées le lendemain. Hanno dit les gestes, les regards et la main qui soutient. Le vent, les odeurs et la vitesse. L’importance des sensations et des émotions pour retrouver la vie qui vibre en nous.
Pourquoi lire La vie épique de monsieur Gaston Baleine et de son ami Bernard Lafeuille ?
Mieux qu'une couronne de fleurs ou un hommage posthume, ce petit roman dit beaucoup en peu de mots de la mort et du deuil, tels qu'ils sont vécus par les enfants mais aussi par les proches adultes. Se balader entre les tombes avec Jasmine et le narrateur, c'est apprivoiser un peu "la damnée crevure", rire des noms des morts à rallonge et des médailles du mérite. Prendre le temps de s'embrasser entre deux cyprès aussi.
Et puis mettre "du vent dans nos têtes".
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