Mots Tordus et Bulles Carrées

John (Emmanuel Bourdier)

La silhouette d’une jeune garçon à lunettes, portant un costume de collégien anglais à cravate, se détache sur un mur orangé. Les mains dans les poches, il marche dans cette rue de Liverpool devenue célèbre depuis : Penny Lane. Lui, c’est John. Nous sommes en 1950 et il n’est pas encore le John Lennon qu’il deviendra avec les Beatles. C’est l’histoire de ce garçon qui « essaie de devenir lui-même » qu’Emmanuel Bourdier nous raconte dans son dernier roman, aux éditions Flammarion jeunesse.

Imagine !

Emmanuel Bourdier, en grand amateur de musique (il est le fondateur et animateur de l’émission On Ze Rocks) et en fin observateur de l’enfance (il est enseignant), se lance dans ce qu’il qualifie lui-même de « biographie rêvée » de John Lennon. Et en effet, si les références à la vie du co-fondateur des Beatles, à son enfance et à son adolescence à Liverpool en particulier, sont présentes, le roman n’en reste pas moins une fiction.

« Ici, comme à Strawberry Fields, rien n’est réel, mais tout est vrai. »

Quand s’ouvre le premier chapitre, on découvre une femme aux cheveux roux et aux yeux brillants qui saute sur le canapé en prenant une voix de présentateur à moustache. C’est Julia, la mère de John. Julia la rieuse, Julia l’artiste, Julia l’enflammée qui emporte son fils dans ses rêveries feux d’artifice. John, lui, est tout à la fois le spectateur, le choriste, le trompettiste de cette maman si spéciale qui ne voit son fils qu’un jour car elle ne peut – ne sait – en prendre soin. Il l’aime à la folie mais la réalité le coupe souvent dans ses élans affectifs. C’est Mimi, la tante de John, et son mari George, qui l’élèvent. Ou tout du moins essayent de lui apporter un cadre. Car Mimi et Julia, c’est le feu et la glace. Mais pas une ne sait dire à cet enfant au coeur à vif qu’elle l’aime.

Alors c’est dans les mots que se réfugie John.

« C’est dingue comme quelques mots peuvent faire autant de ravages qu’une bombe atomique. C’est pour cela que j’aime les mots. Pour cela que je serai poète, le plus grand poète de ce siècle.
Des mots.
Encore des mots. Des mots pour s’échapper, pour réparer ou pour tout foutre en l’air.
Des mots pour aimer.
Pour être aimé.
Enfin. »

Aux prises avec une réalité grise qui ne lui apporte que des gouttelettes de bonheur, c’est l’imagination, celle de ses dessins et de ses poèmes, qui déforme et reconstruit le monde qui l’entoure et le colore, au rythme des retrouvailles avec Julia.

On découvre un garçon sensible et vibrant, plein de rêves et de souffrances, bombe d’émotion prête à imploser.

« You may say I’m a dreamer… »

Difficile de se construire sur les châteaux de sable d’une mère étincelle et oiseau blessé, plus souvent fille que maman, qui subit les violences et la tyrannie d’un conjoint qui voudrait la couper de son fils. Difficile aussi quand son propre père est parti de l’autre côté du globe, en Nouvelle Zélande, et qu’il a reconstruit sa vie sans vous. Comment devenir soi-même quand on se sent incompris dans sa propre famille ?

Pourtant, c’est ce que fait John. Entouré de ses amis Nigel, Ivan et Pete, il parcourt Liverpool et ses quartiers, puisant dans la ville et dans son esprit foisonnant pour faire des petits cailloux qu’il récupère sur sa route des pépites étincelantes.

Emmanuel Bourdier, dans un style très poétique et plein d’humour, laisse la voix de John s’exprimer. Ce John qui tente de dompter sa révolution intérieure, sa colère et sa tristesse mais aussi ses joies intenses et ses émotions créatrices. Comme à Strawberry Fields :

« Dès que je me retrouve face aux immenses grilles du portail sculpté, je sens comme un poids qui quitte mon ventre. Ce poids, je l’ai sur l’estomac en permanence, un peu comme si j’avais avalé un ballon rempli de vinaigre. Mais je pose une main sur la grille et ça disparait. Derrière les grilles, il y a un parc presque aussi grand que l’océan et dans ce parc, il y a un château. C’est une grande maison qui est réservée pour les orphelins de l’Armée du Salut. »

Pourquoi lire John ?

Lire John, c'est d'abord entrer dans la tête et dans le coeur d'un gamin à fleur de peau, dont l'imagination tourbillonne et qui marche dans la vie comme sur un fil tendu au-dessus du vide. Certaines scènes, particulièrement touchantes, restent en mémoire et feront écho aux chansons présentées dans une playlist à la fin du livre. Le chemin de John vers Lennon est sinueux mais plein de poésie et de tendresse et Emmanuel Bourdier en fait un personnage attachant et lumineux. 

Le pari est gagné : John est un rêveur mais il n'est pas seul. Nous faisons avec lui ce rêve d'amour et de musique.

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Mots tordus

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