Le labyrinthe inachevé (Jeff Lemire)

William Warren est un homme solitaire.
Après le décès de sa fille, il s’est éloigné petit à petit de son entourage.
Sa vie n’est plus qu’un éternel recommencement qu’il aborde avec froideur en ayant l’angoisse de ne plus se souvenir du visage de sa fille défunte.
Un soir, il reçoit un appel.
Sa fille, qu’il a vu mourir de ses yeux, est au bout du fil et le supplie de venir l’aider.

Jeff Lemire : un auteur aux mille titres

Le train train de la routine

Jeff Lemire est un scénariste prolifique.

Multipliant les projets, seul ou en collaboration, dans le mainstream ou en indépendant,
rien ne semble arrêter son ascension.
Il faut dire que la qualité et le succès sont souvent au rendez-vous.

Pourtant, ce n’était pas forcement gagné au départ.
Comme son ami Matt Kindt, il a commencé sa carrière en dessinant ses propres histoires avec un style qui dénote du carcan du comics Us, s’approchant bien plus de la bd indépendante européenne.
Son dessin minimaliste donne l’impression d’avoir été fait à la va-vite et son trait ne s’embarrasse pas de technicité.
Certains lecteurs (dont j’ai fait parti à une époque) pourrait regarder cela avec dédain.
Et pourtant, la méthode Lemire est vite devenue synonyme d’excellence.

Un trait qui évolue avec le temps

Un visage qui s’efface avec le temps

Cela s’explique pour plusieurs raisons.

Déjà, Jeff Lemire est un très bon scénariste qui manie habillement les émotions humaines sans pour autant rester figé dans un genre unique.
Que ce soit sur Sweet Tooth (récit post apocalyptique) ou Gideon Falls (récit d’horreur) , c’est la nature profonde des êtres humains qui l’intéresse.
Ses histoires ne sont sans doute pas des plus originales mais elles sonnent avec justesse et touchent en plein coeur.
Et c’est justemet le cas pour le labyrinthe inachevé.

Ensuite, le trait de Jeff Lemire a énormement évolué avec le temps.
Plus maitrisé, ses décors sont détaillés et l’utilisation du lavis est une astuce judicieuse pour apporter une atmosphère propre à son histoire.
Ses teintes, qui oscillent entre le vert pâle et le bleu tout aussi pâle, abordent avec subtilité la séparation entre rêve et réalité.

Et c’est tout le talent de Jeff Lemire : sa créativité narrative.

Le labyrinthe sous toutes ses formes

Un labyrinthe bien réel

Si Jeff Lemire n’est pas un dessinateur exceptionnel, c’est un conteur et un metteur en scène prodigieux.

Et c’est souvent quand il est seul aux commandes qu’il expérimente le plus.
Le labyrinthe inachevé ne déroge pas à la règle.
Comme pour sa mise en couleur, l’auteur utilise plusieurs techniques narratives pour amener son personnage dans son monde fantasmé.
Et de ce point de vue, le choix du labyrinthe, avec tout ce qu’il amène comme métaphore (le fil rouge, Thèsée, le minotaure ) est un terrain de jeu fabuleux.

Le lecteur s’amuse à chercher les trouvailles éparpillées par l’auteur tout au long de son récit.
Sur une page, un enchevêtrement de cases cassées sert à reproduire la forme du labyrinthe.
Sur une autre, les cases d’une page servent de chemin pour William.
Avec comme fil rouge … un fil rouge !

Un fil pour sortir du labyrinthe

Apprendre à faire son deuil en sortant du labyrinthe

Mais un telle recherche narrative n’est intéressante que si elle sert le propos de l’auteur.

Et ici, elle nous montre avant tout le désarroi complet dans lequel se trouve William, un père qui n’a jamais accepté le décès de sa fille.
Sa mort a changé sa vie. Il a divorcé, s’est recroquevillé sur lui même. Il a arrêté de regarder autour de lui, préférant se souvenir du passé au lieu de se concentrer sur le présent.
Mais le temps passe et sa mémoire commence à défaillir.
L’oubli pointe son nez, faisant disparaître le visage de la seule personne qu’il aime.

Pour lutter contre cela, il est prêt à se lancer, comme Thésée, dans une quête improbable.
Retrouver l’être défunt. Qui n’en a jamais rêvé ?
On sait tous que c’est impossible mais tant que le deuil n’est pas consommé, l’espoir n’est pas vain.

C’est un peu ce que veut nous faire comprendre Jeff Lemire, derrière cette fable sociale.
Oublier un visage pour en retrouver un autre.
La fin du récit est certes évidente mais il ne fait pas oublier cette sensation de tristesse derrière un optimisme profond.

En résumé

Le labyrinthe inachevé est une oeuvre chargée en émotions qui se démarque par une narration inventive et inspirante. 

Jeff Lemire frappe encore fort avec ce récit, somme toute classique, mais qui s'adresse à ce que nous sommes, avant tout : des êtres humains. 

Prix et récompenses

  • Prix Bdstagram 2022 – Catégorie comics

Pour lire nos chroniques sur Les funérailles de Luce et La balafre

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