Les royaumes muets (Séverine Gauthier/Jérémie Almanza)

Persephone est la première surprise mais désormais, elle voit les morts.
Son voisin, Victor, récemment décédé, cherche à comprendre sa nouvelle condition auprès de la jeune fille.
Mais celle-ci est autant dans le brouillard que lui et ce n’est pas l’arrivée de deux squelettes qui va arranger la situation.
Surtout que les deux bougres auraient dû récupérer les derniers soupirs de Victor depuis plusieurs heures.
Et ce retard condamne le fantôme à une errance éternelle.
Seule solution : récupérer ce soupir au Royaume des muets et voilà que Persephone est embarquée dans cette aventure, un peu contre son gré.

Une histoire délicieusement gothique

Assister à sa propre veillée funéraire

Les royaumes muets de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza est un conte gothique inventif, drôle et attachant.
Publié au sein de la collection Métamorphose, qui a récemment déménagé aux éditions Oxymore, le récit propose un univers lugubre, hanté par des personnages tendres, loufoques et parfois effrayants.

Il faut dire que tout commence avec une mort. Celle de Victor, un grand gaillard qui a fait son temps mais qui ne semble pas l’avoir compris.
Une chance pour lui, au même moment, la jeune Persephone (le nom n’est sans doute pas choisi au hasard) se découvre un don : elle peut voir et parler aux morts.
Comme le montrent les auteurs, l’acceptation n’est pas forcément facile.
Peur pour l’une, tristesse et désarroi pour l’autre.

Comme souvent avec Séverine Gauthier, elle trouve le chemin adéquat pour aborder, auprès d’un lectorat jeunesse, des sujets habituellement réservés aux adultes.
Avec inventivité, en créant tout d’abord un monde, avec l’aide de Jérémie Almanza, qui tourne tout autour de la mort (avec ses codes, sa hiérarchie…)
Avec humour, entre jeux de mots et autres pissenlits, et surtout nos deux compères squelettes, Charles Letirot et Théophile Dumont qui, à l’image de nos deux auteurs, accompagnent Perséphone dans son périple.
Et avec intelligence, en multipliant les citations et autres références littéraires qui parsèment le récit.
Sur ce dernier point, on regrettera juste que les citations coupent un peu artificiellement ce dernier, même si elles ont toutes été choisies avec pertinence.

L’ensemble donne une aventure haletante mais qui s’arrête un peu brusquement.
Si l’intrigue trouve sa conclusion dans cet album, on sent, par l’apport de touches ici et là, que les auteurs n’ont pas envie de s’arrêter en si bon chemin.
Et vous savez quoi ? Nous, non plus.
The show must go on !

Un dessin d’une obscurité réjouissante

Un trio attachant

Ce n’est pas la première fois que Jérémie Almanza et Séverine Gauthier collaborent.
Ils ont même à leur actif deux albums aux tons similaires, que je ne peux que vous conseiller : Le méconnu Aristide broie du noir et l’émouvant Coeur de pierre.
Le dessinateur a aussi travaillé avec un autre pilier du genre, Guillaume Bianco, sur le sublime Eco.
Malgré tout, le dessinateur avait, depuis quelques années , disparu de la sphère bande dessinée et, avec Les royaumes muets, il réapparait de manière assez brillante.

Les inspirations sont multiples.
On pense pêle-mêle aux Noces funèbres de Tim Burton ou à L’étrange noël de Mr Jack ou encore à Coraline d’Henry Sellick.
Mais ces œuvres ont tellement marqué le genre de leur empreinte qu’il est difficile de faire autrement.
Malgré tout, Jérémie Almanza, tout en s’appuyant sur cette base, a su amener sa touche personnelle.
On la retrouve d’ailleurs assez bien dans Les royaumes des muets, autant dans sa conception que chez sa puissante reine, la Mort.
Le design de celle-ci est extraordinaire.
Lorgnant vers une iconographie plus chrétienne mixée à une imagerie traditionnelle, on y retrouve même une certaine accointance avec un des personnages de Sky Doll.
Avec une touche de mysticisme en plus.

Si sa colorisation prend toujours autant de place dans son style graphique, créant cette ambiance si particulière, l’auteur a gagné en finesse et en détail.
Son trait est devenu pointilleux et ses décors dénotent d’une richesse assez hallucinante.
On peut passer des minutes entières happé par une case, à admirer les ruelles de ce royaume foisonnant, coloré et un peu oppressant.

En résumé

Les Royaumes muets de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza est une aventure gothique d'une richesse graphique percutante. 

Ainsi nous voyageons, non sans crainte, aux côtés de Perséphone dans un étrange territoire où la Mort peut apparaître soudainement, prenant ce qui lui revient de droit. 
Traitant de la mort et de la vie après la mort, les auteurs ont développé un vaste univers, inspiré des grands noms du gothique qu'ils soient littéraires ou cinématographiques, tout en apportant leurs touches personnelles.

Ce premier volume est convaincant, même si la conclusion n'est que le prémisse d'une suite, qu'on espère, probable. 

Pour lire nos chroniques sur Coraline et La chute de la maison Usher

Bulles Carrées

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