Dans un futur lointain, les hommes et les robots essaient de vivre en harmonie mais les différences restent prégnantes.
Dans ce contexte, le corps du puissant robot Mont-Blanc a été retrouvé, affublé de cornes en bois sur le crâne.
Le géant de fer était aimé de tous, ce qui rend ce crime encore plus inexplicable.
Au même moment, un des cadres du groupe de défense des lois sur les robots est assassiné. On retrouve sur son cadavre les mêmes ornements.
Ces deux actes criminels sont-ils liés ? Est-ce un mouvement global à l’encontre des robots ? Qui est Pluto ?
La genèse d’un hommage
Pluto, c’est tout d’abord la rencontre de deux univers.
Noaki Urasawa, épaulé par Takashi Nagasaki, sort de deux énormes succès autant critiques que publics : Monster et 20th Century Boys.
Si, de nos jours, on est habitué au travail de Naoki Urasawa, il faut bien se rendre compte de la popularité folle (et méritée) dont il bénéficiait alors.
Notamment au Japon où certains le considéraient comme le nouveau Osamu Tezuka.
Si cette comparaison prête à sourire, tant les styles des deux mangakas sont incomparables, elle a pu permettre l’élaboration d’un projet qui, encore maintenant, reste un incontournable.
Pour fêter l’anniversaire fictif d’Astro, le 7 avril 2003, Makoto Tezuka, fils du défunt mangaka, propose à Naoki Urasawa de réinterpréter un des récits de la série Astro.
Le choix s’est porté sur une des histoires préférées de nombreux lecteurs : Le robot le plus fort du monde.
En France, on a un peu de mal à appréhender l’impact qu’a pu avoir Astro sur les petits japonais des années 60.
Si l’animé a été diffusé chez nous et a su imprégner certains spectateurs dont je fais partie, elle n’a eu au final que peu d’écho.
Quant au manga, sa publication a été timide et n’a pas rencontré le succès espéré.
Pourtant, Astro, à l’image d’un Superman ou d’un Asterix, est un personnage majeur de la bande dessinée mondiale.
Il faut bien comprendre que Naoki Urasawa, comme beaucoup d’auteurs japonais, est un fan inconsidéré du maître.
Ce n’est pas pour rien que le personnage principal de Monster se nomme Tenma.
Pour lui, cette offre est un honneur et il compte bien s’acquitter de cette tâche avec sérieux.
Une réécriture ambitieuse
un récit d’action transformé en polar psychologique et politique
Enquête policière
Si le récit original d’Osamu Tezuka est populaire, il faut bien admettre qu’il s’adressait avant tout à un jeune public.
L’intrigue, assez basique, mettait en scène un robot destructeur du nom de Pluto dont la mission était d’éliminer les 7 plus puissants robots du monde dont faisait partie Astro.
L’histoire donnait la part belle à l’action et servait avant tout d’excuse à un enchainement de combats.
Naoki Urasawa est plus attiré par les intrigues mystérieuses, sombres, lorgnant soit vers le polar, soit vers le fantastique.
Avec Pluto, le mangaka, accompagné de Takashi Nagasaki, fait de cette base un pur récit policier.
Pour cela, ils reprennent tous les éléments du récit original, tout en leur apportant des enjeux plus complexes et actuels.
L’idée est de développer une réflexion qui, au fond, était latente dans les écrits d’Osamu Tezuka.
Des robots humanisés
Le premier grand changement entrepris est de mettre « légèrement » de côté Astro.
Si celui-ci est bien présent et que son rôle reste celui qu’il avait dans l’oeuvre de son créateur, le duo de mangaka explore une autre piste.
Ainsi, c’est autour de Geschit que tourne l’intrigue de Pluto.
Gesicht, qui apparaissait à peine sur 5 pages de l’oeuvre originale, est un policier travaillant pour Europol et qui se retrouve en charge de l’enquête.
Il est aussi un de ces 7 robots surpuissants ayant participé à la 39eme guerre d’Asie.
Avec Gesicht, on retrouve le genre de personnage qu’Urasawa affectionne.
Inspecteur chevronné, il est torturé par des « rêves » récurrents qu’il ne s’explique pas.
Travaillant pour une organisation européenne, il reprend cette approche plus universaliste que l’on retrouvait notamment sur Monster.
Les personnages ont des nationalités différentes et ne sont pas que le reflet d’une vision japonaise.
Avec Gesicht, les auteurs explorent aussi le monde des robots.
Ces « machines », de plus en plus proches des humains, ont une famille, des sentiments qu’elles essaient de comprendre et peuvent même rêver.
Naoki Urawasa et Tagashi Nagasaki, comme ils l’ont fait sur leurs oeuvres précédentes, donnent du corps aux personnages sur lesquels ils travaillent.
Chacun d’entre eux a son importance, allant jusqu’à avoir leur propre chapitre comme pour North 2.
C’est d’ailleurs le cas des 7 robots.
Même Mont-Blanc, qui disparait dès les premières pages, sera mis en valeur par le biais de flashbacks dont le mangaka a le secret.
Ils deviennent immédiatement attachants et on craint pour leur vie.
Dépassant le stade d’êtres de métal, ils deviennent des êtres vivants à part entière.
Un récit aux multiples références
Hommage à Tezuka
Pluto, c’est tout d’abord un hommage sensible et respectueux à Osamu Tezuka.
Ainsi , on retrouve une bonne partie des personnages fétiches du mangaka.
Astro, bien sûr, mais aussi Uran sa jeune soeur, le professeur Ochanomizu , le docteur Tenma et même l’inspecteur Tawashi sont de la partie.
Il se permet ainsi de reprendre des éléments majeurs de la série originale en les réactualisant.
Les rapports entre Tenma et Astro en sont un parfait exemple. Avec sensibilité, Naoki Urasawa et Tagashi Nagasaki mettent en scène une relation complexe et perturbée.
Ils appuient aussi leur hommage d’easter eggs à l’image d’une apparition furtive de Black Jack dans le premier tome.
On ne peut pas parler des personnages ou de l’univers de Tezuka sans mentionner l’énorme travail de réadaptation graphique créé par Urasawa.
Il a su, avec brio, reproduire l’univers de son maître tout en se le réappropriant.
Les robots, notamment, reprennent les designs d’Osamu Tezuka mais l’auteur cherche un moyen de les humaniser.
Brando ou Hercule en sont de parfaits échos. Leur aspect robotique devient, sous le trait d’Urasawa, une simple armure cachant des corps humains.
Littérature, cinéma et politique
Mais Pluto, ce n’est pas qu’un hommage au maître.
Le récit est bourré de références.
Certaines sont induites même par l’univers d’Osamu Tezuka.
Quand on parle de loi de la robotique, de rapports entres robots et humains ou du premier crime robotique, on pense immédiatement aux oeuvres d’Asimov.
Et comment ne pas voir les différents entretiens entre Gesicht et Brau 1589 comme une résurgence de ceux du film de Jonathan Demme : Le silence des agneaux.
Reste que l’apport le plus intéressant est lié à l’intrigue elle-même.
Sa portée politique fait littéralement écho à une situation historique connue dont les mangakas reprennent le processus politique.
Arme de destruction massive, mensonge d’un état pour faire la guerre à un autre pays, le physique même de Darius IV… tout rappelle… Je n’en dis pas plus, même si les comparaisons sont nombreuses et évidentes.
À travers Pluto, les auteurs reprennent la morale initiale de l’oeuvre de Tezuka tout en la confrontant à notre réalité.
Et ce propos est malheureusement loin d’être désuet.
La guerre n’engendre que haine et vengeance.
En résumé
Pluto de Naoki Urasawa et Tagashi Nagasaki est une réécriture magistrale d'un arc majeur du Astro d'Osamu Tezuka. Reprenant l'idée de base de l'élimination des 7 robots les plus puissants du monde, les mangakas font de ce simple récit d'action, un pur polar psychologique et politique qui nous permet de réfléchir autant à notre nature humaine qu'aux répercussions d'un conflit armé. Tout en gardant en tête l'oeuvre d'Osamu Tezuka, Naoki Urasawa se l'approprie par le biais un immense travail de réadaptation graphique. Astro et tous les robots qui l'entourent n'auront jamais paru aussi humains et attachants que sous les traits du mangaka. A noter que Netflix diffuse à partir du 26 octobre, une adaptation animée en 8 épisodes, fidèle mais techniquement un peu faiblarde.
Prix et récompenses
- N°1 du Top réédition 2023 MTEBC
- Prix intergénération – Festival Angoulême – 2011
- Prix Asie – ACBD – 2010
- Prix excellence – catégorie manga – Japan Média Arts festival – 2005
- Grand Prix – Prix culturel Osamu Tezuka – 2005
Pour lire nos chroniques sur Urban et Felicidad
Quelle claque ce Pluto, j’ai dû mal à m’en remettre. Les thèmes sont hyper intéressants.
Pour moi, c’est la meilleure série d’Urasawa. Pa Stanton pour la qualité du scénario ou du dessin mais par son format, plus court, qui empêche la moindre baisse de régime.
Une véritable pépite