Malgré tout (Jordi Lafebre)

Quand Zeno et Ana se retrouvent, ils ne sont plus de toute jeunesse.
L’un comme l’autre ont eu une vie bien remplie, sans pour autant perdre le contact.
Les voilà enfin prêts à conclure une histoire d’amour qui a commencé il y a 37 ans.

Un amour à rebours

Le téléphone comme lien entre les époques

L’une des originalités et réussites du récit de Jordi Lafebre provient indéniablement de son traitement narratif.
Paradoxalement, nous entamons le récit de Malgré tout par sa conclusion.
Ainsi, nous vivons dès les premières pages les retrouvailles de Zeno et Ana, prêts à vivre (enfin) leur amour au grand jour.
Cependant, la question se pose : pourquoi avoir mis 37 ans pour réaliser ce moment ?

Chapitre après chapitre, l’auteur remonte le temps et assemble bout par bout les pièces du puzzle de leurs vies tout en expliquant la particularité de leur relation.
Jordi Lafebre passe ainsi de Zeno à Ana et nous raconte en parallèle leur parcours atypique.
Le premier parcourant le monde pour écrire une thèse qui lui permettra de devenir docteur en sciences physiques.
La seconde devenant maire de sa ville natale et portant à bout de bras le projet d’un pont.
Chacune des sections est liée par une connexion permettant de garder un ensemble cohérent et d’une grande richesse.
Avec peu, Jordi Lafebre fait beaucoup et réussit à developper des personnages secondaires aussi attachants que notre couple.

Il faudra attendre les dernières pages, merveilles de retour en arrière, pour comprendre pourquoi nos amoureux seront restés en contact toutes ces années.
Et en quoi cet événement est fondateur de leur futur.

Des âmes soeurs qui se croisent encore et encore

Se retrouver dans de rares occasions

Raconter un coup de foudre est quelque chose de délicat.
En effet, si on reste focalisé sur les deux personnages, on ne peut qu’être ému par la puissance de leurs sentiments.
Cependant, on oublie qu’à leurs côtés, vivent aussi un mari et des enfants qui eux, n’ont rien demandé et peuvent faire partie des « dommages collatéraux ».
Soyez rassurés, Jordi Lafebre évite admirablement cet écueil.

Les personnages, dans leur ensemble, ont vécu leur vie comme ils l’entendaient.
Il n’y a aucun regret dans leurs propos.
Ana en est le meilleur exemple.
Femme active, elle met toute son énergie dans sa fonction de mairesse et notamment son projet de pont dont nous allons suivre l’avancement et les péripéties.
Mariée à Guisepe, elle est mère d’une jeune fille qu’elle n’a pas vraiment élevée.
D’ailleurs, Guisepe et Marta (sa fille) pourraient être remplis d’aigreur envers une mère et une femme absente mais il n’en est rien.
Guisepe, à ce niveau, est un personnage extraordinaire.
Mari aimant, papa poule, il forme avec Ana un couple d’une grande modernité.
Jusqu’à la fin (ou au début, c’est selon), il fera preuve d’une écoute et d’une intelligence absolument bouleversantes.

Zeno est l’archétype de l’aventurier.
Du moins, le croit-on.
Parti à l’autre bout du monde, il n’a eu de cesse de rester en contact avec Ana.
De ce point de vue, le téléphone est une sorte de fil qui les relie l’un à l’autre.
Par son parcours, on comprend que lui non plus n’est pas resté célibataire mais ses multiples amourettes se sont avérées brèves.
Ana est toujours restée dans son coeur.

Quand nos deux personnages se retrouvent, ils sont accomplis professionnellement.
Leur amour n’a jamais été un frein à leur vie et, s’il a été marqué par des absences, de longs moments de silence et quelques disputes, il a résisté aux affres du temps.
Ce qui donne à leurs sentiments encore plus de vigueur.

La délicatesse du dessin de Jordi Lafebre

Vivre à l’autre bout du monde

On sait depuis longtemps que Jordi Lafebre est un dessinateur extraordinaire.
Que ce soit en collaboration avec Zidrou sur les Beaux étés ou seul comme ici, il n’a pas son pareil pour illustrer la nature humaine dans ce qu’elle a de plus profond.

Son trait semi-réaliste dénote, à l’image de sa sublime couverture, une technicité absolument effarante.
Cette simplicité apparente, autant par sa mise en scène que par ses couleurs, sert à merveille le propos de son récit.
En quelques traits, l’auteur espagnol croque des expressions multiples, drôles, sensibles et souvent émouvantes.

Ana vibre autant par sa fougue que par cette retenue émotive qui laisse échapper, à de rares moments, une petite larme.
Zeno est un charmeur au regard doux et malicieux qui croque la vie à pleine dent.
Guisepe est un mari heureux et attentionné qui ferait tout pour rendre sa femme heureuse.

Tout ça et encore plus, Jordi Lafebre l’exprime par une mise en page délicate qui évite tout pathos tout en touchant en plein coeur.
Et c’est sans doute ce qui fait toute la force de son album.

En résumé

Malgré tout de Jordi Lafebre est une romance à rebours aussi délicate qu'émouvante. 
A travers le parcours de nos deux amoureux, l'auteur espagnol illustre à la perfection l'idée même de coup de foudre. 
Un amour qui perdure dans le temps sans forcément nuire à la vie professionnelle ni aux proches 

Une oeuvre drôle, bouleversante et particulièrement attachante. 

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