Maxine est vidéaste et pose sa caméra pour enregistrer des femmes afin de leur demander pourquoi ils ont choisi ou non d’avoir des enfants. Alors qu’elle doit vider la maison de son père menacée d’effondrement en bord de mer, lui le célèbre violoncelliste victime d’un AVC avec qui elle a eu une relation distante, elle découvre un pan silencieux de son passé au travers de mystérieuses photos envoyées régulièrement d’Ecosse depuis cinquante ans. La jeune femme décide alors de retourner sur les traces de son père adolescent pour comprendre qui il est et quelle est son histoire.


Ces silences qui brisent
Maxine a ce réflexe de sortir sa caméra pour filmer les moments importants de sa vie. Parce que c’est son métier mais aussi parce que capturer et monter ensuite ces images lui permet à la fois de prendre du recul et de mieux comprendre en faisant siens les mots et les gestes des gens qu’elle filme.
Alors, quand elle arrive paniquée dans la chambre de son père hospitalisé pour un AVC, qu’elle apprend que la parole est atteinte, elle sort sa caméra.
Un pied de son père dépasse du drap. Il a du sable entre les orteils. Maxine a l’impulsion de le filmer et cherche sous son bras le renflement de la caméra qu’elle n’a pas emportée. Son téléphone fera l’affaire. Dans le faux silence de la chambre d’hopital, Maxine cadre les orteils ensablés de son père.
Leur relation a toujours été distante, ses parents à elle et sa soeur ayant décidé de se séparer quand elle était petite. Et il a toujours habité dans une cabane au bord de la mer. Trop proche de la mer d’ailleurs puisque c’est la menace qui pèse désormais : la maison risque de s’écrouler et il faut la vider.
Or, alors qu’elle retrouve des souvenirs d’enfance et des traces du passé de son père, elle découvre des polaroïds envoyés d’Ecosse qui représentent des paysages de bord de mer. Avec toujours une trace de la photographe, une mèche de cheveux, un bras… Les dates au dos des clichés courent de 1977 à 2019. Son père avait-il une relation amoureuse depuis tout ce temps ?
Maxine, à qui son père ne peut répondre, décide donc d’aller en Ecosse sur les traces de ce passé qu’elle ignore mais dont elle a le présentiment qu’il va dévoile de nombreux secrets sur son père et sur la relation qu’ils entretiennent.
Dialogues face à la mer
Manon Fargetton nous embarque dans ce voyage à la croisée des époques, entre enquête et documentaire puisque Maxine a décidé de filmer son séjour écossais.
Aux chapitres de récit racontés du point de vue de Maxine, traversés parfois des paroles des femmes qu’elle interroge sur leur rapport à la maternité et au désir ou non d’avoir des enfants, se mêlent désormais ceux qui évoquent la période pendant laquelle Térence, son père, a vécu sur l’ile.
Les paysages et la vie sur l’ile y prennent une dimension essentielle et l’on devine, au travers de descriptions et de portraits, l’âme des habitants. L’on découvre aussi et surtout Isla, celle dont le nom évoque l’île, la jeune femme qui va être le premier amour de Térence. Un amour à l’image de cette terre maritime de vent, de mer et de nature sauvage.
Entre Isla et Térence, tout va vite. Dès qu’ils se retrouvent seuls, ils explorent les sommets à la recherche d’un recoin isolé des touristes qui s’éparpillent sur mon ventre. Ils s’inventent une langue qui n’est ni l’anglais ni le français, qui est respirations, qui est ploiement de nuques, qui est chant d’oiseaux, murmure de peaux, embrasement. Les herbes accueillent leurs corps, conservent l’empreinte de leur désir.
De manière progressive et subtile, Manon Fargetton remonte le temps, repasse le film de cette histoire d’amour qui a fait le père de Maxine. Et dont la jeune femme sent qu’elle l’a faite elle aussi indirectement. Les chapitres sont des rushs que l’autrice monte les uns à la suite des autres, pour trouver un équilibre à cette histoire familiale.
Du passé et du présent se distinguent et se rapprochent les deux personnages féminins principaux : Maxine et Isla. Chacune à sa manière est attachée par dessus tout à sa liberté et à ses choix. Malgré les doutes, malgré les questionnements. Et si c’est un père que Maxine cherche à trouver en menant son enquête, c’est finalement une femme qu’elle trouvera. Mais à qui appartiennent ces histoires ?
Pourquoi lire Ce que prend la mer ?
Avec Ce que prend la mer, Manon Fargetton nous offre un récit riche, à la croisée du romanesque, du documentaire et du cinéma. En suivant le fil du passé de son père, Maxine, telle une petite poucette, découvre ce que la mer écossaise avait caché : une histoire d'amour passionnée et tragique. A ces voix du passé répondent celles du présent et les interrogations sur la maternité et la liberté d'être une femme, peu importe l'époque, se font écho. Celle de l'île aussi. Un roman où se mêlent l'intime et l'universel.

