Alors qu’elle cherche le chemin de sa maison, Maimie Mannering s’égare dans les jardins de Kensington.
Or, la nuit, le lieu devient le territoire d’étranges créatures et notamment de fées moqueuses et voraces.
Heureusement, Peter Pan est là pour veiller au grain !
Une magnifique adaptation
Les prémisses d’un récit incontournable
On peut être déçu de retrouver le talentueux José-Luis Munuera sur un projet aussi commun qu’une énième adaptation du Peter Pan de James Matthew Barrie.
Entre les multiples versions cinématographiques et celle de Loisel, il semble difficile de proposer une vision inédite du personnage.
Cependant, Peter Pan de Kensington est particulier.
Version « béta » du personnage, le récit adapte en réalité sa première apparition écrite en 1902 dans L’oiseau blanc.
On y découvre un Peter Pan légèrement diffèrent de sa mouture finale et éloigné de Neverland et de son microcosme.
Si les bases sont présentes, Munuera faisant le lien entre les diverses versions, le récit est ancré dans un environnement bien réel : les jardins de Kensington.
Or, la nuit venue, le lieu se transforme, devenant un piège pour les enfants égarés.
Ironiquement, les fées existent mais elles sont loin d’être commodes.
Si vous trouviez Clochette agaçante, dites-vous qu’au moins, elle ne vous menaçait pas de vous dévorer.
Du coup, le rôle de guide est tenu par Salomon, corbeau aux multiples casquettes.
Narrateur et acteur de l’histoire, il est aussi la conscience et la raison de Peter Pan.
L’adaptation de Munuera est plus sombre. L’onirisme et l’aventure laissent place à un cauchemar teinté de critique sociétale.
Ainsi, Peter et Maimie croisent sur leur chemin des petits personnages, symboles de la bourgeoisie anglaise, que le jeune garçon écrase plusieurs fois par mégarde.
Par ce biais, l’auteur tente d’inverser le rapport de force. Il met les « puissants » sous la botte d’un peuple qui ne prête guère d’attention à sa présence.
Mais Peter Pan a d’autres objectifs en tête. Il doit aider la jeune fille à sortir des jardins, tout en échappant aux ombres qui les poursuivent.
Le récit prend des allures de thriller, surtout que Peter n’est pas clair dans ses attentions.
Souhaite-t-il vraiment libérer Maimie ? Ou veut-il la garder auprès de lui… à tout jamais ?
Le mystère Peter Pan
Peter Pan a toujours été un personnage étrange dont les origines restent mystérieuses.
Je garde notamment en tête le Hook de Steven Spielberg où l’on apprenait que le jeune garçon avait été abandonné.
Mais l’auteur complexifie cette approche en faisant de Peter Pan un personnage trouble, aussi inquiétant que tragique.
Peter a du caractère. Il peut se montrer hautain et parfois colérique.
Au fond, il se sert des peurs de la jeune fille pour mieux la manipuler. En réalité, sa présence brise la solitude qui le hante.
Car le jeune garçon est profondément triste et son passé est marqué par la même perte que la jeune fille.
Sauf que Maimie peut retrouver son chemin alors que c’est impossible pour Peter.
Et c’est sans doute là toute la tragédie du récit, confortée par la révélation finale.
Peter est voué à cette solitude et sa situation en fait autant un protecteur qu’un danger pour la petite Maimie.
Une appropriation graphique magistrale
Depuis quelques années, en parallèle de travaux plus mainstream, José-Luis Munuera se consacre à l’adaptation de récits majeurs de la littérature anglaise.
Si l’on retrouve cette stylisation unique, lorgnant vers la caricature, il opte cependant pour une approche graphique plus sobre.
Certes l’environnement se limite aux jardins mais les décors prennent littéralement vie sous nos yeux.
D’ailleurs, il laisse une place prépondérante à la colorisation, se chargeant de mettre en place l’ambiance chromatique du récit.
Peter Pan de Kensington et ses effets de brumes bleutées en est une très belle preuve.
L’atmosphère est éthérée, nous plongeant, à l’instar de Maimie, dans un rêve éveillé.
Le fond bleu, reflet de cette nuit sans fin, n’est que rarement interrompu par des filtres de lumière intense, synonymes de présences surnaturelles, à l’image des fées ou des halos entourant les ombres.
La mise en page est parfaitement maitrisée.
José-Luis Munuera est toujours aussi friand de plongées et contre plongées, apportant du dynamisme et de la vivacité à un cadrage, au final, assez classique.
Les contre plongées renforcent aussi la symbolique de certains passages, tout en s’amusant du ridicule de la situation.
Si le récit est éloigné de Neverland, l’auteur nous gratifie tout de même de sa vision du Capitaine Crochet.
Plus classique que sa vision des fées, il nous laisse entrevoir les portes d’un monde qu’on aimerait explorer à ses côtés.
Peut être une autre fois ?
Après tout, depuis Les coeurs de ferraille, je rêve aussi de le voir sur une adaptation de Cyrano de Bergerac !
En résumé
Peter Pan de Kensington de Jose-Luis Munuera est une adaptation très personnelle de la première apparition du personnage de James Mathew Barrie.
Bien loin de l'univers fantasque de Neverland, Jose-Luis Munuera propose une vision plus éthérée voire effrayante du personnage.
S'il semble protéger la jeune Maimie des dangers de Kensington, ses projets sont plus obscurs.
L'auteur retrouve ici toute l'ambivalence du personnage, tout en apportant des raisons à ce comportement.
Le récit est magistralement illustré.
La combinaison de son style cartoony et des couleurs brumeuses crée une atmosphère quasi horrifique.
Ce bleu enveloppe chacune des pages comme pour nous annoncer une nuit sans fin.
Du moins, c'est ce qu'espère Peter Pan !
Pour lire nos chroniques de Le zèbre et Retour à Neverland