Alors que Elijah Snow se terre dans un bouge au fin fond du désert, Jakita Wagner lui propose une offre d’emploi au sein de l’organisation Planetary .
Financée par le 4ème homme, l’équipe parcourt la planète à la découverte de ses plus grands mystères.
Ode à la littérature fantastique
Le siècle de l’étrange
La fin des années 2000 au sein du label Wildstorm, alors sous le giron d’Image comics, est propice à une créativité fascinante.
Et d’une certaine façon, Warren Ellis en a été un des architectes principaux.
À première vue, Planetary est un projet personnel éloigné de la sphère super héroïque.
À première vue seulement. En réalité, la série reste connectée à l’univers de Wildstorm et notamment à The autorithy, l’autre bombe de Warren Ellis.
On peut même dire que, d’une certaine façon, les deux équipes sont cousines.
Liée par deux personnages majeurs, Elijah Snow et Jenny Sparks, The authority est de la pure énergie brute alors que Planetary est un bouillon de culture.
On notera que, malgré cette paternité, Warren Ellis ne les a fait se « rencontrer » qu’une seule fois.
D’ailleurs, on retrouve au dessin de ce crossover, Phil Jimenez qui s’est éclaté comme un fou.
Il offre aux fans un déchainement visuel qui a la délicate tache de fusionner deux ambiances radicalement différentes.
Sur les premiers chapitres de la série, les épisodes semblent indépendants.
En effet, le scénariste envoie sa nouvelle équipe, composée d’ Elijah Snow, Jakita Walker et le »batteur », explorer un monde aux multiples secrets.
Par ces explorations, il rend hommage à tout un pan de l’imaginaire, qu’il vienne de la littérature, de la bande dessinée ou du cinéma.
Les clins d’oeils sont variés, passant des kaijus à la pop culture américaine en faisant un petit tour par la littérature anglaise.
Ainsi, il théorise un passage de relais entre les siècles, expliquant une continuité nécessaire.
Poussant sa réflexion, il se permet même une analyse personnelle d’une partie de cette culture, notamment à travers le genre super héroïque.
Cet univers évoque pour lui un mélange de fascination et de détestation.
De ce point de vue , le chapitre 7 est un hommage vibrant de l’époque Dc Vertigo à laquelle il a participé avec Transmetropolitan.
Il juge cette période avec émotion mais non sans un certain cynisme.
« Jack disait toujours que ce n’était pas facile pour nous autres américains de comprendre ce qu’il se passait ici dans la période la plus sombre des années 80. Nous avions un président complètement gâteux qui parlait trop souvent de la fin du monde et qui était contrôlé par des affreux …. Mais leur premier ministre. Elle était authentiquement folle»
— Elijah Snow, homme du 20eme siècle.
En bon anglais qu’il est, on sent que la période Thatcher a été douloureuse à vivre.
Mais cette rage a permis l’émergence d’auteurs anglais qui ont su marquer les esprits.
On peut citer aussi le crossover Planetary / Batman qui clôt ce premier volume.
Si l’idée semble saugrenue, l’auteur s’en empare avec intelligence et en profite pour décortiquer les nombreuses variantes du Dark Knight.
Le point de vue est pertinent et reste cohérent avec le propos de Warren Ellis.
Planetary fascine par cet aspect analytique global mais il n’en reste pas moins, lui aussi, un pur récit de fiction.
Ainsi, pour soutenir cette ambition, il fallait une intrigue forte qui fasse honneur à ses ainés.
Et on peut dire que l’auteur anglais relève le défi haut la main.
Un siècle de conspiration
Après quelques épisodes de mise en bouche, mais essentiels pour la suite, Warren Ellis construit petit à petit l’architecture de son récit.
Si chaque épisode peut se lire à l’unité, c’est dans leur ensemble qu’ils prennent toute leur ampleur.
L’intrigue multiplie les zones d’ombres.
Elijah Snow, tout d’abord. Qui est-il vraiment ? Comment a-t-il perdu une partie de sa mémoire ?
Ce sont des questionnements que le vieillard compte rapidement éclaircir et qui, au final, ne sont que la partie immergée de l’iceberg.
Le meilleur exemple est l’identité du 4ème homme.
Si sa révélation peut paraître évidente, elle n’est que la première strate d’un récit complexe multipliant les chausses trappes et autres coups tordus.
D’ailleurs, il est bien difficile d’accorder une totale confiance aux personnages tant le mensonge est ancré en eux.
Une fois certains secrets résolus, le scénariste peut se concentrer sur son véritable objectif.
Il met ainsi en place une menace construite comme un détournement teinté de perversité réjouissante.
Comme quoi, en partant d’une même base, on n’arrive pas forcément au même résultat.
Cela pourrait d’ailleurs être le leitmotiv d’une partie des références utilisées par Warren Ellis.
Une ambition graphique unique
Au vu de l’ambition de Warren Ellis, il lui fallait un auteur à la hauteur.
Et franchement, on ne pense pas en premier lieu à John Cassaday.
Non pas qu’il ne soit pas talentueux.
On le connait d’ailleurs en france pour sa collaboration avec Fabien Nury sur Je suis Légion.
Cependant, son style semi réaliste, parsemé de quelques lacunes anatomiques, n’inspirait pas forcément confiance.
Et pourtant, Planetary est une oeuvre graphique fascinante.
Le dessinateur s’est investi corps et âme à sa tâche, allant jusqu’à expérimenter de nouvelles techniques pour les besoins du scénario.
L’oeuvre est d’une richesse folle, piochant ses inspirations dans l’art déco, le cinéma, les pulps et bien sûr les comics.
Les designs sont inventifs, alliant à la perfection l’hommage à une forme de modernité.
Il s’imprègne totalement des différentes atmosphères du récit pour proposer une narration unique et débridée.
Parfaitement épaulé par les couleurs de Laura Martin, John Cassaday reçevra en 2004 le Eisner du meilleur dessinateur, une récompense très largement méritée tant on peut considérer ce travail comme son chef d’oeuvre.
En résumé
Planetary de Warren Ellis et John Cassaday est un must have absolu que tout amateur de fantastique, sous toutes ses formes, se doit d'avoir lu.
À travers un récit énigmatiques, Warren Ellis développe une réflexion structurée et brillante sur les oeuvres de fiction des siècles derniers, en multipliant des références aussi variées que multiples.
Le cynisme de son écriture est propice à une critique parfois acerbe sur le monde fictionnel et réel.
Planetary est une oeuvre qui se savoure aussi pour sa richesse graphique.
John Cassaday se montre inspiré et inventif, allant jusqu'à expérimenter de nouvelles techniques pour les besoins du scénario.
Sûrement son comics le plus exigeant .
Pour lire nos chroniques d’ Echolands et Pony