Simon & Lucie : les ciels changeants (Alain Kokor)

C’est une nuit particulière pour Lucie.
Dans cette première soirée de canicule, elle ne trouve pas le sommeil.
Elle aurait aimé voir la fin du James Bond avec sa mère mais cette dernière n’a pas cédé à ses injonctions.
Alors Lucie se parle à elle-même et très vite, la conversion tourne autour de Simon.
Simon, son amoureux, profite justement de cette soirée pour venir la rejoindre.
Et cette nuit n’est que le point de départ d’une relation tumultueuse.

Un peu de contexte

Simon & Lucie : les ciels changeants d’Alain Kokor est une adaptation de l’oeuvre de Diastème.
Reprenant trois pièces de théâtre, éditées aussi en livres : La Nuit du thermomètre (2001), 107 ans (2004) et La Paix dans le monde (2019), cette histoire d’amour aura nourri l’imaginaire de son auteur pendant 18 ans.
Campé au théâtre, tout d’abord par  Emma de Caunes et Frédéric Andrau, Diastème laisse carte blanche au non moins talentueux Alain Kokor pour donner sa version de cette romance tendre, touchante, tragique et onirique.

Un amour fou

Album de plus 300 pages, Alain Kokor reprend la structure même des 3 récits de Diastème pour la faire sienne et lui donner une unité bouleversante.

Canicule

occupation artistique en pleine canicule

La première partie de Simon & Lucie : les ciels changeants reprend la trame de La nuit du thermomètre.
On découvre Lucie, âgé de 14 ans, essayant d’occuper son esprit, dans la chaleur de sa chambre.
Narratrice, elle adresse directement ses pensées aux lecteur.rices, dévoilant une partie de sa vie et de ses sentiments.
Ainsi, nous apprenons qu’elle vit seule avec sa mère et qu’elle est follement amoureuse de Simon.
L’adolescente est une jeune fille pleine de vie avec une fibre artistique bien ancrée.
Simon semble plus terre à terre mais montre, déjà, quelques signes d’un mal-être qu’il peine à cacher.
Ensemble, ils assistent, d’une certaine manière, à la dérive des adultes, peu épargnés par le jugement de leurs enfants. Que ce soit la mère de Lucie, alcoolisée pour oublier sa solitude, ou le père de Simon qui ne se préoccupe guère de son fils, les deux ados ne peuvent que compter sur eux, s’épaulant dans les moments difficiles.
C’est aussi en cela que leur relation est si fusionnelle.

Mais comme toute histoire d’amour, le début est toujours merveilleux.
Le ton, adopté par l’auteur, apporte à l’ambiance une sensation éthérée. On ressent sur les premières pages, non seulement cette chaleur étouffante presque enivrante mais aussi cet amour naissant et encore vibrant.
Cette introduction multiplie les émotions. Si une certaine douceur ressort de leur complicité, on ressent déjà quelques moments de gêne. L’onirisme qui découle des planches conforte d’une certaine façon l’irréalité de ce sentiment.

Or, le réveil peut être brutal !

Folie

Le temps qui passe

La seconde partie reprend la trame de 107 ans.
On y retrouve cette fois-ci Simon, devenu le nouveau narrateur de l’histoire, écrivant ses pensées dans les pages de carnets numérotés.
Âgé de 18 ans, il est interné au sein d’une institution psychiatrique après avoir commis des actes mettant en danger les autres… et surtout lui-même.

Ce second acte est le plus long et le plus riche en terme de thématiques. Particulièrement touchantes, certaines scènes nous frappent par cette mélancolie teintée de colère et de tristesse.
L’auteur prend le temps de nous expliquer l’évolution cette relation de couple, tout en y intégrant les moments de vie dans l’institut psychiatrique.
Le récit est d’une grande justesse. Il ne cherche jamais l’émotion facile, même si le mal-être de Simon est profond, surtout depuis sa rupture avec Lucie.

Car oui, le rêve s’est achevé brutalement.
Alors que Simon reste figé dans le temps, Lucie évolue.
Les premiers temps sont merveilleux, amenant à une première relation sexuelle dessinée avec beaucoup de pudeur et de tendresse par Alain Kokor.
Mais l’adolescent commet une faute qu’il ne se pardonne pas et les remords prennent le dessus.
On sent toute la complexité qu’a Simon à gérer ses émotions, en en faisant subir les conséquences à un corps de plus en plus marqué.
Mais cette douleur qu’il s’inflige, Lucie ne la supporte plus.
S’ensuit l’incompréhension, la jalousie et la colère. Les étapes, certes banales, d’une rupture amoureuse prenant des allures disproportionnées.
Car si l’amour a été passionnel, sa finalité ne peut qu’être extrême !

Le récit alterne entre ces souvenirs de cette vie passée et la nouvelle, au sein de l’institution psychiatrique.
Malgré la fragilité de chacun.es, il noue une belle amitié, emplie silence, avec « la gosse » et Barth.
Avec leurs propres maux et par des réunions sur un simple banc, ils se découvrent.
Le récit n’enjolive en rien les traumas de nos trois « barjots » mais ensemble, ils apprennent à mieux supporter la vie… et pour certain, à la reprendre.

L’âge adulte

La dernière partie reprend La paix dans le monde.
Simon a maintenant 22 ans et s’apprête à quitter l’institut psychiatrique pour reprendre une vie normale.
Mais celle-ci peut-elle se faire sans Lucie ?

Ce dernier chapitre conclut une histoire d’amour aussi belle que tragique.
Si la partie précédente était assez chargée en émotions, celle-ci retrouve la douceur du début, même si, plus que l’amour, c’est l’amitié qui permet à Simon de donner du sens à sa vie d’adulte.

Une nouvelle fois, le propos est délicat et la fin joue habilement avec nos sentiments.

L’onirisme romantique

Un rêve éveillé

J’ai toujours été fasciné par le travail d’Alain Kokor, mélange de poésie enveloppée d’une touche de fantasmagorie unique.
C’est un univers auquel il faut adhérer mais qui ne laisse pas indiffèrent.

Simon & Lucie : les ciels changeants peut sembler plus « terre à terre » mais Alain Kokor ne pouvait pas adapter cette oeuvre sans y apporter sa personnalité graphique.
Commençons par ce qui fâche… Oui, la couverture est ratée. Elle ne donne non seulement pas envie d’ouvrir la bande dessinée mais en plus, elle ne reflète aucunement la richesse esthétique de l’intérieur.
À l’image de ses récits, le style d’Alain Kokor s’exprime avec douceur et délicatesse.
Le trait et les formes sont ronds et semblent flotter dans l’air, à l’image d’une mise en page souvent enivrante.
Le style est aussi sobre qu’inventif, jouant avec une mise en page tantôt classique tantôt élaborée. Les scènes reprenant le style artistique de Lucie, hommage cubiste, exprime toute la fantaisie de cet auteur.

À l’instar d’une colorisation en simple aplat, tout est élaboré pour que la lecture coule toute seule. Et c’est une réussite !
Malgré les réticences devant cet énorme pavé, on dévore les pages une à une sans même s’en rendre compte.
Simon & Lucie : les ciels changeants prouve qu’efficacité rime avec subtilité !

En résumé

Simon & Lucie d'Alain Kokor est une adaptation poignante de la saga amoureuse, écrite en 3 actes, de Diastème. 
Reprenant La Nuit du thermomètre (2001), 107 ans (2004) et La Paix dans le monde (2019, il créé une unité induite entre des récits aussi touchants que tragiques.

Mettant en parallèle un amour passionnel et un mal-être adolescent, Alain Kokor apporte une touche de douceur et d'onirisme sans pour autant laisser de côté sa mélancolie profonde.
Par sa tonalité et son trait si particulier, Alain Kokor nous enchante autant qu'il nous émeut avec un album d'une profonde sensibilité.

Et ne vous fiez pas à la couverture, Simon & Lucie : les ciels changeants est une oeuvre à découvrir autant pour la puissance de son récit que pour le trait d'un auteur unique !

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