1936 – Edison Hark est de retour à San Fransisco.
À la demande de son frère adoptif, il enquête sur Ivy Chen, une domestique chinoise, dont la disparition aurait causé l’arrêt cardiaque du paternel, Mason Carroway.
L’enquête l’emmène dans les tréfonds de Chinatown en proie aux tensions raciales.
Et le fait d’être le premier détective sino-américain ne lui facilite guère la la tâche.
Polar et société amèricaine
The Good Asian de Pornsak Pichetshote et Alexandre Tefenkgi attise immédiatement la curiosité.
Datant de 2021, il faudra pourtant attendre que Komics Initiative ( et ses nombreux contributeurs ) s’intéresse au projet pour le voir débarquer sur nos contrées.
On peut d’ailleurs se demander comment ce titre a pu échapper aux gros éditeurs du marché.
Surtout que l’actualité récente donne une toute autre résonance à un titre décrivant une nouvelle face peu réjouissante de l’histoire américaine.
Un pur polar typé « années 30 »
The Good Asian est avant tout un excellent polar.
Pornsak Pichetshote y infuse une ambiance rétro de vieux film noir aux multiples rebondissements. Violent, âpre et cynique, The Good Asian nous en met plein la face !
Les personnages, aussi nombreux sont-ils, sont tous parfaitement développés, aidés en cela par une vrai science du dialogue.
Chacun d’entre eux apportent leur pièce à cet immense édifice.
La narration prend, en grande partie, le point de vue d’Edison Hark, partageant ainsi ses pensées et ses doutes les plus intimes.
Pur archétype du détective, il symbolise le double propos du scénario, jonglant avec une certaine audace entre la fiction et la réalité.
Mais, derrière cette force de caractère, se cache un homme troublé par son passé et cette double culture.
En tant que détective sino-américain, il se retrouve dans les deux « camps » sans appartenir à aucun d’entre eux.
Ses choix, teintés d’une forme de pragmatisme, n’aident pas forcément à son intégration.
Mais pour lui, celle-ci ne peut se faire qu’en respectant la loi … même si celle-ci est profondément injuste.
Pornsak Pichetshote élabore une intrigue complexe en revenant habilement sur les secrets de la famille Carroway.
Pourquoi un riche américain choisi d’éduquer un jeune chinois à la mort de sa mère ? Comment ses autres enfants réagissent ? En quoi cela impacte ses relations avec Frankie, le jeune roquet et l’ambitieuse Victoria ?
Ces questions essentielles apportent pour certaines d’entres elles, les clés d’une enquête aux multiples facettes.
Mais si tout semble être lié, la réalité, comment souvent, s’avère plus complexe.
En réalité, chaque personnage cherche à faire sa place dans ce monde. Ils font face soit aux convenances familiales, au patriarcat, à la précarité ou à un racisme institutionnalisé.
Immigration et racisme
Pornsak Pichetshote aime se saisir des récits de genre pour mettre en exergue les failles de nos sociétés.
Il avait violemment déjà dénoncé l’islamophobie, sur Infidel en collaboration avec Aaron Campbell, un récit d’horreur perturbant.
Avec The Good Asian, il reprend les codes du polar pour décrire une période historique trouble de l’Amérique des années 30.
Jugeant l’immigration chinoise trop importante, l’Amérique promulgue une loi d’exclusion des chinois en 1882. Cette loi, restrictive, pointe le doigts sur une catégorie de la population et engendre une forme de racisme systèmique.
Le récit de Pornsak Pichetshote, en plus d’être extrêmement bien ficelé, se nourrit d’une importante documentation sans pour autant le noyer sous un flot d’informations.
Ainsi, la tradition chinoise a une place importante dans l’album, autant par le décorum autour de Chinatown que par la présence d’un énigmatique personnage : Hui Long.
On ressent toutes les brimades mais aussi les contradictions d’une population qui tente de vivre au sein d’un pays qui ne souhaite pas les intégrer.
Le portrait du père de Lucy Fan est d’ailleurs bouleversants et exprime toutes les craintes d’un citoyen chinois. Apeuré, il se terre chez lui au grand désespoir de sa fille qui voit son père dépérir.
Malgré tout, le récit réussi à ne pas être bilatéral, évitant une forme de naïveté idéologique.
En réalité, la nature humaine est plus complexe et ne peut se résumer par : « les méchants américains contre les gentils chinois ».
Si O’Malley est l’archétype du flic violent et raciste, d’autres portraits sont plus contrastés.
D’ailleurs, l’identité du tueur prolonge toute cette complexité autour des origines mêlant les ressentis, les préjugés et la loi.
The Good Asian dévoile une réalité peu connue sur l’intégration difficile de la population chinoise à cette époque.
À travers ce récit, il est difficile de ne pas y voir un écho avec la situation actuelle d’un pays qui a bien du mal à se défaire de ses vieux démons.
Une partie graphique « So Frenchie«
Sur The Good Asian, on retrouve l’artiste française Alexandre Tefenkgi, découvert récemment sur Once upon a time at the end of the world.
Son trait y était acéré, brutal et pouvait désarçonner.
Sur, The good Asian, son dessin est plus fluide, plus proche d’une rondeur cartonnesque.
Ainsi, il apporte de la souplesse à son encrage et forcement à ses personnages.
Certes, on regrettera certaines similitudes de visages mais dans l’ensemble, les designs sont agréables et bien pensés.
Mais c’est sur sa mise en page qu’il fait des merveilles.
Ses cadrages sont inventifs et ses scènes d’actions particulièrement dynamiques, donnant un véritable souffle aux bagarres inhérente au genre.
De plus, il est épaulé à la couleur par la sobriété d’un Lee Loughbrige, mettant en valeur autant son dessin que l’ambiance général du récit.
The Good Asian s’avère une excellente surprise et m’amène à revoir les quelques réticences que j’avais sur le style d’Alexandre Tefengki.
Prix et récompenses
- Eisner Award – Meilleur récit complet – 2022
- Harvey Award – Livre de l’année – 2022
En résumé
The Good Asian de Pornsak Pichetshote et Alexandre Tefenkgi est un polar haletant qui nous dévoile une des parts sombres de l'Histoire amèricaine.
Par le biais d'une enquête policière familiale et sociètale aux multiples rebondissements, Pornask Pichetshote nous décrit le racisme subits par les migrants chinois dans les années 30.
Alexandre Tefenkgi, avec son trait tout en rondeur et sa mise en page inventive, illustre à merveille ce récit mélangeant avec brio la réalité avec la fiction.
The Good Asian est une réussite autant pour son propos historique et politique que pour son intrigue policière.
À noter que l'album propose un dossier complémentaire, très instructif et pédagogique sur cette période trouble.
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