Au royaume, c’est l’effervescence !
Un bébé royal est né et c’est un garçon !
Prénommé Otto, on le prépare à devenir l’héritier du trône.
Mais, petit problème, Otto ne s’intéresse pas franchement aux affaires du royaume. Les cottes de maille sont bien trop lourdes et monter à cheval est un supplice.
Lui, ce qui l’intéresse, ce sont les robes de sa mère qu’il porte au détriment de cette dernière.
Mais que faire d’une princesse aux petites noix quand le royaume doit faire face aux menaces extérieures ?
De prince à princesse
La princesse aux petites noix d’Émilie Chazerand et Stéphane Kiehl est un album réjouissant et lumineux.
Tout débute comme n’importe quel conte : une naissance attendue, une famille aimante et un peuple en liesse devant cette petite tête blonde des plus ravissantes.
Mais Otto a une destinée toute tracée. En tant que futur héritier à la couronne, il doit faire honneur au nom qu’il porte, celui de son illustre aïeul, un combattant légendaire aux multiples victoires.
Mais voilà, le jeune garçon a d’autres préoccupations que « la bagarre ».
Quoi !? Encore un album déconstruisant la masculinité !
Et bien oui, quoiqu’il en déplaise à ces « bonhommes » qui se sentent tellement en danger. Ce qui, avec un certain recul, me paraît assez ironique.
Ainsi, Émilie Chazerand démontre, avec tendresse, qu’être un garçon ne signifie pas « broyer les os de ses ennemis » comme on aimerait lui imposer.
Pire, ce dernier préfère customiser ses cottes de maille en habits, bien moins guerriers.
Ne se cachant guère, les moqueries se font nombreuses. Et à l’extérieur, les ennemis se préparent à envahir son royaume, pensant qu’une telle énergumène ne pourra leur résister.
Cette pensée symbolise parfaitement l’étroitesse d’esprit de ce type de jugement.
Mais l’autrice démonte ces conventions, les rendant obsolètes voire rétrogrades devant les questionnements de toute une nouvelle génération, enfant comme parent.
En effet, la valeur éducative s’avère essentielle.
Le roi se montre ouvert alors que la reine reste plus inquiète.
Celui-ci lui répond non sans une certaine ironie :
« Tellement gentil ? Tellement doux et délicat ? En bonne santé, généreux, serviable et prévenant ? …. Ma mie, je ne sais pas ce que nous avons fait de travers mais je souhaite à tous les parents un enfant similaire. »
— Un roi qui aime son fils
Émilie Chazerand enfonce le clou lors d’une confrontation finale avec un gros balourd bien moins caricatural que prévu.
D’ailleurs, il n’y a aucune méchanceté, ni même jugement dans les propos de l’autrice.
Elle privilégie avant tout la tolérance et la liberté d’opinion.
L’apparence des uns ne devrait pas subir le mépris des autres.
Les temps changent… Malheureusement, certains esprits trop étriqués pour l’admettre préféreront crier au « wokisme ».
Ce qui, en temps de crise démocratique et écologique, ne me paraît pas être le « danger » le plus inquiétant pour nos sociétés dites modernes…
De délicates illustrations
J’aime beaucoup le dessin de Stéphane Kiehl.
L’ayant découverte, il y a plusieurs années, sur l’album Moon, j’étais tombé sous le charme de son style.
Sur La princesse aux petites noix, on retrouve la finesse et l’élégance d’un trait aux multiples détails.
Ses illustrations, souvent en double page, ont toute la place pour exprimer une véritable inventivité graphique.
Si le conte est un genre très référencé, Stéphane Kiehl s’amuse à en détourner les codes par des designs originaux.
J’ai énormément apprécié ses différentes recherches de costumes, notamment ceux d’Otto et du roi qui symbolisent parfaitement leur état d’esprit.
On ressent toute cette matière, notamment sur les cottes de maille qui deviennent d’élégants ornements.
Dans l’ensemble, les couleurs laissent une grande place à des tons grisâtres ou bleutés, s’opposant à l’expressivité graphique d’Otto.
La princesse aux petites noix est encore un merveilleux coup de coeur graphique, bourré d’ingéniosité et de folie douce.
En résumé
La princesse aux petites noix d'Émilie Chazerand et Stéphane Kiehl est un album ravissant autant pour nos yeux que pour notre esprit.
Détournant l'imagerie du conte, Émilie Chazerand démonte les conventions en abordant des thématiques sur les attentes masculines, les questions de genre et les apparences qui en découlent.
Avec une finesse d'esprit et une douceur chaleureuse, elle nous montre qu'un garçon n'est pas obligé de devenir une brute avide de sang et qu'il a le droit, lui aussi, d'assumer sa propre sensibilité.
Stéphane Kiehl illustre cette histoire avec toute l'élégance qui caractérise son style.
Les designs sont inventifs, les illustrations en double page tout bonnement magnifiques.
La princesse aux petites noix est un album qui fait du bien, surtout en ces temps troublés où la liberté de chacun est de plus en plus remise en cause.
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