Slava (Pierre-Henry Gomont)

Slava, ancien peintre à succès, s’engage dans la voie du recel et de l’escroquerie aux côtés de son nouveau maître à penser : Dimitri Lavrine.
Ensemble, ils écument les édifices abandonnés à la recherche du moindre matériaux intéressant à la revente : vitraux, tableaux ou autres lustres, tout est bon à prendre.
Slava apprécie cette nouvelle vie et admire l’esprit commercial de Lavrine .

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où ils rencontrent la ténébreuse Nina.
Une première étape pour un nouveau projet émerge dans la tête de Dimitri Lavrine : revendre toutes les machines d’un atelier pour sauver les ouvriers de la ruine.

Une bonne attention non dénuée d’arrière pensée !

Le grotesque de la réalité

C’est par Pereira prétend que je découvre pour la première!re fois le talentueux Pierre-Henry Gomont.
Auteur d’une finesse rare, il explore le monde à travers des oeuvres aux traitements variés : par l’adaptation de romans ou celui de faits divers, l’auteur se sert du grotesque de la réalité pour faire réfléchir son lectorat.
Cette approche originale rend la plupart de ses récits accessibles malgré tout en traitant de sujets pointus.
Et la situation russe, après la chute du mur de Berlin et l’explosion du bloc U.R.S.S. est ô combien complexe.
Avec Slava, il expose son objectif dès l’avant-propos.
Cette période si particulière de la Russie est marqué par la politique de Gorbatchev qui, après des années de rudesse communiste, laisse entrer l’ogre du capitalisme dans son pays.
Et l’ogre est affamé !

Mais, plus que l’histoire avec un grand H, c’est le petit peuple qui intéresse Pierre-Henry Gomont.
Slava, Lavrine, Nina et tant d’autres font face à cette période charnière qui, d’une certaine façon, pose les bases de l’ère Poutine.

Un monde qui change

Contrat et alliance commerciale

Slava, narrateur de l’histoire, raconte les changements vécus par son pays.
Et il peut en témoigner, il en a lui-même subi les conséquences.
De façon cynique, il est devenu célèbre en peignant des oeuvres critiques contre le régime communiste.
Mais une fois le régime disparu, a quoi peuvent bien servir de telles oeuvres ?
Avec le recul, on peut estimer que Slava a profité d’une certaine position, même si ce dernier s’est fait avoir par plus « malin » que lui.

Le symbole ultime du communiste reste toujours la classe ouvrière.
Ceux qui ont fait la puissance de la Russie seront les premiers à être impacté par l’apparition du capitalisme sur leur terre et, clairement, ils ne peuvent lutter contre cette économie de marché dominante.

Ainsi, Pierre-Henry Gomont met nos 2 escrocs face à cette situation dont il profite très largement, au moins au départ.
D’ailleurs, Lavrine est le parfait représentants de cette loi du marché où tout est bon à vendre à partir du moment qu’on puisse trouver un acheteur.
Au sein de ce nouveau monde, les ouvriers font partie du passé.
Un passé où l’on gagne son dû par la force de ses bras et non par sa roublardise.

Mais au fond, que ce soit sous les communistes ou les capitalistes, seuls les dominants s’enrichissent sur le dos des plus pauvres.
Ils se sont parfaitement adaptés aux nouvelles règles, les utilisant pour gagner toujours et encore plus d’argent quitte à détruite au passage des milliers d’emplois.

Est-ce que ce peuple peut vraiment lutter contre cela ?
Pierre-Henry Gomont montre que la résistance est possible mais le combat ets ardu et les coups bas sont légions.

Des personnages hauts en couleur

L’amour au travail

La grande force du récit de Pierre-Henry Gomont vient de ses personnages.
Il leur accorde une importance égale et réussit à les rendre attachants malgré leurs nombreux défauts.

Prenons Dimitri Lavrine.
Symbole d’un capitalisme sans limite, il est ambitieux, roublard et égoïste.
Tout pour le rendre antipathique et, d’une certaine façon, il l’est.
Pourtant ce n’est que le côté pile d’un personnage bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Il y a de la tragédie chez Lavrine et aussi égoïste peut il être, c’est sur les moments les plus importants qu’il prouve sa valeur.
Sans parler de rédemption, son parcours est marqué par l’acceptation de ses propres erreurs.

Il faut dire qu’il aura fort à faire avec à Nina et son père, Volodia.
Nina est une figure du féminisme moderne.
Combattante, aventureuse, elle n’a peur de rien et n’a besoin de personne pour décider à sa place.
Elle aussi est prête à tout pour défendre les intérêts de son père et des ouvriers.
Volodia est, de son côté, une sorte d’antithèse à Dimitri.
Ouvrier, il n’a connu que l’élévation par le labeur et des hommes comme Lavrine le débecte au plus haut point.
L’évolution de leur relation, à la fin de la série , est assez symptomatique pour ne pas dire ironique.
Ce sont deux visions opposées, s’alliant pour combattre un ennemi bien plus puissant.

Et Slava est au milieu de tout ce « bruit et cette fureur ».
Tout d’abord narrateur, il se retrouve, petit à petit, acteur de SA propre histoire.
Ses choix seront même déterminants dans la destinée des autres membres du groupe.
Une destinée qu’il ne maîtrisera jamais réellement.

Et pourtant, c’est drôle …

Les colères légendaires de Volodia

Pierre-Henry Gomont l’expose très bien.
Slava traite d’un sujet important mais avec légèreté.
Et c’est, à mon avis, l’originalité et la réussite de cette série.
Certains ont comparé Slava et Dimitri aux pieds nickelés.
Pour ma part, j’y ai vu certaines caractéristiques du cinéma des frères Coen.
Il serait cependant caricatural de les comparer à tel ou tel personnage.
Leurs mésaventures sont avant tout dues au monde qui les entoure plus qu’à une véritable maladresse.
D’ailleurs, même si la tragédie arrive par malchance, elle était au final assez inévitable.

Ce ton vient en grande partie du dessin.
Je ne saurais l’expliquer mais j’ai toujours trouvé que Pierre-Henry Gomont avait un sens inné de la comédie.
Mais une comédie fine, intelligente, utilisant autant la gestuelle que des astuces de mise en page que n’auraient pas reniées un certain Franquin.
D’ailleurs, c’est à la lecture du dernier tome de Slava, que cette référence m’ai apparu comme évidente.
Ils partagent cet amour de la dérision, agrémenté par une sorte de cynisme constant, contrastant avec des attitudes exagérées, presque loufoque.
Pierre-Henry Gomont utilise d’ailleurs une technique qu’on peut retrouver chez Franquin : mettre en scène certaines expressions par de petits dessins dans des petites bulles de pensées.
Le résultat est croustillant et apporte de la fraîcheur à des scènes parfois denses.

Le travail de Pierre-Henry Gomont mélange les influences et les tendances, entre le visage rondouillard à gros nez de Dimitri ou le réalisme de celui de Slava, l’auteur mélange deux univers tout en gardant un équilibre pour empêcher que l’un empiète sur l’autre.

En résumé

Slava de Pierre-Henry Gomont est une série en 3 tomes jonglant avec un contexte historique dense et une atmosphère à la limite de la comédie sociale. 

Derrière cette histoire d'escroquerie, drôle et attachante, se cache l'analyse pertinente d'un pays en proie aux ogres de l'économie de marché.
La Russie est en pleine mutation et ses habitants hésitent entre protection ou évolution mais essaie avant tout de s'en sortir avec de nouvelles règles imposées.

Entre les coups bas des financiers, la résistance ouvrière, des hommes et des femmes cherchent un sens à leurs vies

Slava est la preuve, une nouvelle fois, du talent de Pierre-Henry Gomont pour explorer des thématiques complexes avec une légèreté et un humour délicieux.
Un pur moment de bonheur et d'intelligence.

Prix et récompenses

  • Prix RTL de la bande dessinée – 2022
  • Prix de la bande dessinée historique de Blois – 2022

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