Miss Charity (Marie-Aude Murail)

Comment se frayer un chemin dans un monde régenté par les hommes, alors que l’on est une fille et que l’on vit au coeur de la bonne société anglaise ? C’est la question que pose Marie-Aude Murail dans Miss Charity. Elle y raconte la vie romancée de Beatrix Potter, grande illustratrice anglaise du début du 20e, ici représentée sous les traits de Charity Tiddler.

Une enfant singulière

Le quotidien de Charity Tiddler, fille unique d’une famille de la bonne société anglaise de la fin du 19e siècle, est profondément ennuyeux.

Coincée entre une mère préoccupée essentiellement par la religion et son cercle de dames penchées sur leurs broderies d’un côté et un père absent de l’autre, elle trouve refuge auprès de petits animaux. Avec eux, elle dialogue et leur donne de petits noms.

Madame Petitpas la souris, Jack le hérisson, Bob et Jane les escargots, Darling le crapaud et Master Peter le lapin, deviennent rapidement ses amis. Ils sont aussi une source d’observation et d’inspiration puisqu’elle les étudie et les dessine.

Peter était un lapin d’exception. Tout de suite, il exigea de savoir compter. Quand je lui disais : « Peter, deux plus un font ? », il frappait trois fois le sol de sa patte arrière. Ce pouvait être aussi deux ou quatre, mais il manifestait de toute façon son intérêt pour l’arithmétique. Etant un peu snob, il préférait le français à l’anglais. Si je lui disais : « Come on ! », il ne bougeait pas. Mais si c’était : « Viens ! », il accourrait. Il aimait les arts. Quand Mademoiselle jouait du piano, il s’installait à ses pieds. Si c’était moi, il passait dans la pièce à côté. Par-dessus tout, il avait une passion pour la peinture. Il me mangea la moitié de mes pinceaux. Bref, Peter devint le roi de mon coeur.

Dans ce monde d’adultes, seules deux femmes lui tiennent réellement compagnie. Tabitha, sa bonne écossaise, étrange et inquiétante, et Mademoiselle, sa gouvernante hypersensible, professeur de piano, de chant et de français.

De plus, régulièrement, elle retrouve les enfants de sa marraine Lady Bertram, ses cousins Philip, Lydia et Ann. Mais surtout, il y a Kenneth, le feu follet, le maître des jeux, l’étincelant et agaçant Kenneth.

Dans ce petit monde codifié, Miss Charity laisse sa curiosité se développer en s’intéressant aux animaux et aux plantes. Mais aussi aux pièces de Shakespeare qu’elle connait par coeur, au grand damne de sa mère.

La jeune fille a le don de rendre la réalité ennuyeuse plus vivante en menant tout un tas d’expériences scientifiques et artistiques.

Exister aux yeux des autres

Plonger dans Miss Chartity, c’est à la fois s’émerveiller avec le personnage de la richesse de la nature et des animaux, découvrir la vie dans la société anglaise ultra-codifiée, à la bascule des 19e et 20e siècles, et suivre les aventures d’une jeune artiste qui deviendra la plus grande illustratrice de livres pour enfants d’Angleterre.

Le talent de Marie-Aude Murail pour donner vie à ses personnages, parfois drôles, parfois inquiétants, pleins de finesse ou coincés dans leurs petites vies rangées et prédestinées, éclate au fil des 480 pages que l’on dévore sans se lasser.

Très vite, on devine la fantaisie de Charity. Son inadéquation avec ce que sa famille attend d’une femme à cette époque. Sa volonté de rendre ceux qui l’entourent heureux, au-delà des classes sociales et des façons de vivre.

Les voyages, même à quelques lieues, sont des fêtes, des terrains d’exploration sans limites. Alors que les jeunes filles cherchent au bal leur futur mari, elle préfère aller au musée. Ou aider sa gouvernante à déclarer son amour à l’homme qu’elle aime.

Tout en finesse et en humour, l’écriture de Marie-Aude Murail est un petit bijou de justesse et de sensibilité. Les illustrations de Philippe Dumas, à la plume et à l’aquarelle, accompagnent de manière naïve et drôle les créations de Miss Charity.

Master Peter refuse de prendre son sirop

Enfin, alors que Charity grandit, l’on découvre sa ferme intention de défendre ses droits d’autrice. Et de ne pas dépendre d’un homme, quitte à ne pas se marier comme l’exigerait sa condition et les traditions de sa famille. Le roman fait passer un message de persévérance et de volonté d’aller jusqu’au bout de sa passion.

Et Miss Charity s’avère une héroïne accessible et courageuse qu’on garde à l’esprit une fois le livre refermé.

Pourquoi lire Miss Charity ?

Marie-Aude Murail prouve une nouvelle fois avec Miss Charity la grande qualité de la littérature jeunesse. Le roman, vie romancée de Beatrix Potter, est plein de finesse, d'humour et de poésie. L'enthousiasme et la curiosité de son héroïne, femme indépendante et moderne, sont autant de messages offerts à la jeunesse. Ainsi, en suivant le parcours de cette jeune fille singulière et pleine de créativité qui cherche et trouve sa voie dans un monde rigide et codifié, les lecteurs et lectrices de tous âges s'émerveilleront et prendront conscience de la place qu'ils peuvent occuper dans une société pas toujours adaptée à eux. Une place que l'on peut se créer, si l'on croit en soi.

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