Carlos a maintenant 12 ans.
Il n’est pourtant pas loin le temps où il avait le droit à la protection de son frère contre les brutes du quartier.
Mais voilà, maintenant, il doit apprendre à se débrouiller seul.
Malgré tout, quand l’été arrive, annonçant les triangulaires de football, il n’a d’autre choix que de faire appel à Bebeto pour compléter son équipe.
Un geste certes intéressé mais qui illumine la journée de celui à qui, jusque là, on n’accordait aucune attention.
Un été particulier
Les affres de l’adolescence
On l’appelait Bebeto de Javi Rey est le récit d’une sorte de capsule aussi anecdotique que marquante pour Carlos.
Le jeune ado est en pleine phase de transition.
On pressent une cassure marquée par l’absence d’une partie de la cellule familiale.
Seule la grand-mère est présente, vissée sur son canapé, à aduler un athlète qui symbolise bien plus que les exploits qu’il accomplit.
Mais ce n’est franchement pas essentiel pour Carlos.
Narrateur de sa propre histoire, il fait un descriptif assez complet des étapes de la vie.
Et à cette époque, les occupations de Carlos marquaient une vie adolescente pleine d’insouciance et de découverte.
Dans cette vie, le foot et les filles peuplent les discussions de ces jeunes garçons en pleine puberté.
Dans ce petit monde bien « calibré », Bebeto est à part.
Javi Rey introduit le jeune garçon dans une scène déstabilisante mais qui montre bien le poids de la rumeur et des préjugés.
Il devient un peu le paria du quartier, celui qu’on ignore même s’il est omniprésent.
On a tous connu un peu cela dans les quartiers. Ce personnage étrange, en décalage avec le reste de la société.
Tout le monde le connaît mais personne ne veut vraiment de lui.
Jusqu’au jour où Carlos lui tend la main.
Le geste n’est pas désintéressé. D’ailleurs, rien ne l’est dans les choix de l’adolescent.
Bebeto est un moyen d’obtenir ce que Carlos veut : jouer à la triangulaire et tisser du lien avec son premier amour.
Carlos n’est pas méchant, c’est juste un ado égoïste qui n’imagine pas l’impact qu’il a pu avoir dans la vie de Bebeto.
Ce sentiment est amplifié par le fait que Javi Rey réussit à instiller une certaine tendresse dans les rapports entre nos deux ados.
Pendant de brefs instants, Carlos essaie même de comprendre Bebeto, de s’intéresser à lui.
Mais la réalité se montre bien dure.
Au final, ces quelques mois n’auront été qu’une bulle, emplie de tendresse, de tristesse et surtout de regrets.
Un écho du passé
On l’appelait Bebeto est une sorte d’écho familial du passé.
La famille de Carlos a migré en Belgique pour fuir la dictature franquiste.
Si cette fuite a été mal vécue par la grand-mère, le retour au pays s’avère décevant.
Les années ont passé et ils ne reconnaissent rien du village qu’ils ont laissé derrière eux.
Ils sont devenus les étrangers de leur propre pays natal.
Ce blocage dans le temps est symbolisé par la maladie de la grand-mère de Carlos.
Le déracinement a été un choc accentué par les multiples tragédies.
Au final, la grand-mère de Carlos et Bebeto sont, en quelques sortes, les faces de la même pièce.
Leurs « spécificités » les excluent de la vie « normale » et pourtant, ils ne semblent pas être les plus malheureux.
La vieille dame sourit en regardant le tour de France et Bebeto semble ravi de s’être « enfin » trouvé un ami.
Un ami et un petit-fils pas toujours à la hauteur.
Un graphisme épuré et efficace
Depuis Un ennemi du peuple, je suis vraiment devenu un fan du travail de Javi Rey.
Je trouve que son dessin dégage une véritable puissance, tout en préservant une forme de simplicité dans les formes et les designs de ses personnages.
L’encrage amène de la fluidité et la mise en page s’avère calibrée et parfaitement maitrisée.
Depuis son adaptation de Nos coeurs tordus, l’auteur n’a pas son pareil pour mettre en scène des adolescent.es, reprenant parfois les mêmes esquisses.
C’est d’ailleurs le cas de Carlos qui ressemble beaucoup à Vlad.
Cependant, on lui pardonne cet écueil, surtout qu’à côté, il apporte un soin aux expressions, facilitant ainsi l’attachement que l’on peut avoir pour ces gamins.
Javi Rey accorde aussi beaucoup de place aux décors. La ville, les rues du quartier, les routes et les immeubles sont des personnages à part entière.
Par contre, et contrairement à ses habitudes, il choisit des couleurs plus ternes, avec peu d’effets, comme pour contextualiser cette époque passée.
Un filtre recouvre l’ensemble, donnant un effet de de « désuétude » aux images.
Peut-être la marque d’un temps révolu !
En résumé
On l'appelait Bebeto de Javi Rey raconte les souvenirs de Carlos, un jeune garçon confronté aux prémisses de l'adolescence dans un univers familial esquinté.
L'auteur nous conte un été suspendu, empli de frustration, de colère, d'égoïsme et où l'amour et l'amitié essaient de se frayer un chemin.
Bebeto, quant à lui, symbolise l'exclusion d'un jeune enfant qui a juste la malchance d'avoir une mère différente, ce qui, pour le reste de la communauté, fait sa différence.
Et l'accepter dans ses rangs n'est pas anodin... et surtout pas désintéressé.
On l'appelait Bebeto, c'est aussi l'histoire d'un passé familial tragique où la perte se fait sur plusieurs plans.
Au final, le passé ne s'oublie pas facilement...
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