Mots Tordus et Bulles Carrées

Arrowsmith ( Kurt Busiek / Carlos Pacheco )

1915 – la guerre fait rage en Europe depuis plus d’un an.
Les hommes de Prussia ont tenté une percée en Gallia mais les deux camps se retrouvent paralysés.
Les ennemis s’enferment dans une guerre de tranchée et les affrontements sont dévastateurs.
Trolls et autres vampires se servent d’armes surpuissantes mais même la magie n’arrive pas à faire évoluer le conflit.
Pendant ce temps, Arrowsmith, un jeune homme des Etats-Unis de Colombia, souhaite intégrer l’Unité d’Elite Aérienne pour aider les alliés de Gallia.
Il ne s’imagine pas encore les horreurs auxquelles il va assister.

Une uchronie historique

Un projet captivant

New York à la sauce fantaisie

Arrowsmith de Kurt Busiek et Carlos Pacheco sort pour la première fois en 2003 au sein du défunt label Cliffhanger.
Construit autour des 3 stars de l’époque qu’étaient Joe Madureira, J.Scott Campbell et Humberto Ramos, il développe légèrement sa gamme en accueillant de nouveaux arrivants prestigieux.
Et mine de rien, l’arrivée de Kurt Busiek et de Carlos Pacheco est aussi étonnante que réjouissante.

Etonnante car Kurt Busiek est avant tout connu pour son immense travail et sa connaissance de l’histoire super-héroïque.
Les deux auteurs sortent d’ailleurs d’un succès critique et public avec Avengers Forever, hommage global à ces super-héros.

Surprenante par le choix du projet.
Non pas que l’uchronie soit vraiment une nouveauté dans la fiction américaine.
Mais le propos d’Arrowsmith en capte toute l’essence.
L’idée est simple : et si la première guerre mondiale avait eu lieu dans un monde de fantaisie ?
Tout en reprenant l’historique de cet affrontement, le scénariste américain propose une réflexion puissante sur les ravages d’un immense conflit.

D’ailleurs, l’univers d’Arrowsmith fonctionne à merveille.
Les rajouts mystiques et les êtres fantastiques qui peuplent un monde qui nous semble proche, sont parfaitement intégrés dans l’intrigue.
Ils font partie intégrante de cette société.
Incorporés comme citoyens ou soldats à l’image des loups garous ou les vampires, ils peuvent être utilisés comme arme de guerre ultime, voire incontrôlable.
La magie est omniprésente. Elle prend le relais de la science qui, si elle n’est pas absente, reste de moindre importance.
Ainsi les scientifiques de ce monde sont des magiciens et les armes de guerre des sorts surpuissants.
Des sorts qui, à l’instar d’une bombe, peuvent dévaster des villes entières.

La guerre 14-18 vu sous le prisme de la fantaisie

Des ennemies surnaturels

Quand Kurt Busiek se lance sur ce projet, on peut penser que la guerre n’est qu’une base pour mettre en place un univers de fantaisie.
Au final, c’est l’inverse.
La fantaisie est le moyen original de raconter une guerre qui a ravagé l’Europe pendant 4 années et qui, actualité oblige, se rappelle à notre bon souvenir.
En effet, derrière chaque nom de lieux, chaque évènement se cache une « réalité historique ».
Bien sûr, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Arrowsmith n’est pas un comics historique.
Cependant, les auteurs n’ont pas pris ce sujet à la légère et ont cherché à lui donner une réalité concrète.

Dès les premières pages, le lecteur.rice est jeté dans les tranchées aux côtés des soldats qui font face à une attaque de Trolls.
En quelques cases, ils introduisent un univers et des enjeux clairs.
C’est ensuite que l’on découvre Arrowsmith, un jeune américain qui rêve d’incorporer l’Unité d’Elite Aérienne pour être formé au vol (avec l’aide d’un dragon).

À travers ce personnage, Kurt Busiek développe l’archétype du patriote américain, prêt à se jeter à l’assaut pour défendre la liberté.
Pourtant, le jeune homme ne connaît rien de la guerre.
Il y va « la fleur au fusil » sans prendre en compte les craintes de son père et ni celles de son ami Rocky qui est arrivé aux Etats-unis de Colombia pour échapper à ce conflit.
On remarquera que le continent est une terre d’accueil, même si les auteurs sont loin d’édulcorer la complexité de cette époque.

C’est d’ailleurs à travers l’évolution du personnage d’Arrowsmith que cette approche critique se fait le plus sentir.
Alors que le jeune homme s’imaginait combattre pour la liberté, il va découvrir les horreurs de la guerre, qu’elles viennent du camp adverse ou de son propre camp.
Les soldats, essentiellement jeunes, meurent brutalement ou finissent défigurés dans un hôpital militaire.
Personne n’est épargné et les bons sentiments du début s’effacent bien vite devant la réalité des combats.

Carlos Pacheco, au sommet de son art

Une mise en page percutante

Carlos Pacheco s’est très vite fait remarquer du grand public et sa prestation sur les X-men restera pour beaucoup comme un des monuments du comics des années 90.
À l’époque, son trait aux formes anguleuses est beaucoup plus massif mais le dessinateur espagnol s’amuse déjà avec une mise en page cinématographique, usant et abusant de plongées et contre-plongées.
Il sait mettre ses personnages en valeur grâce à des compositions, notamment en entonnoirs, qui sont devenues sa marque de fabrique.

Malgré tout, c’est en collaborant avec Jesus Merino que son style va franchir un nouveau stade.
On sous-estime souvent la place des encreurs mais cette collaboration est la preuve de l’importance des apports amenés par un encrage de qualité.
Gagnant en finesse, son style se montre plus souple et élégant.
Les effets de matière qu’intègre Jesus Merino au style de Carlos Pacheco lui apportent un fond et une masse graphique très intéressante, notamment lors des scènes de combat.
Si Avengers Forever en est la démonstration, Arrowsmith en est l’aboutissement.
Les designs de créatures sont magnifiques, les décors sont détaillés et la mise en page est grandiose, atteignant des sommets d’excellence sur certains passages, notamment sur la deuxième partie de ce premier tome.

Cette première partie nous laisse sur une fin amère.
Alors quand les auteurs annoncent une suite en 2022, une joie incommensurable s’empare de moi.
Certes, Carlos Pacheco ne travaillait plus avec son encreur fétiche et traversait une petite période de vide mais l’annonce était alléchante et sonnait comme une renaissance.
Ce deuxième volume, prévu prochainement chez Delcourt comics, sera malheureusement le dernier travail de Carlos Pacheco qui s’éteindra peu de temps après et laissera Arrowsmith définitivement orphelin.

En résumé

Arrowsmith de Kurt Busiek et Carlos Pacheco est une oeuvre à (re)découvrir absolument. 
Introuvable depuis plusieurs années, Delcourt comics profite de la sortie récente d'une suite pour rééditer cette uchronie fascinante et particulièrement poignante.
Dans un monde de fantaisie, ravagé par une guerre mondiale, Kurt Busiek nous rappelle que la violence touche tous les camps et que le bien et le mal n'ont rien à faire dans cette histoire.
Carlos Pacheco signe ici, avec l'appui de Jesus Merino, un de ses meilleurs travail et nous rappelle à quel point cet auteur manque au comics.

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