Mots Tordus et Bulles Carrées

Bordeterre (Julia Thévenot)

Je fais partie des lecteurs/lectrices qui ont littéralement plongé dans le monde parallèle d’Ewilan, créé par Pierre Bottero en 2003 avec « la Quête d’Ewilan » puis dans « les Mondes d’Ewilan » et enfin avec « Ellana », sans reprendre mon souffle. 
C’est pourquoi la couverture de Bordeterre de Julia Thévenot (aux éditions Sarbacane), avec son bleu électrique, son château encerclé et son titre surmonté d’un blason aux trois yeux inquisiteurs, m’a tout de suite attirée.

« La terre vous soutienne
Le bord vous retienne »

Telle est la devise cet univers parallèle au nôtre dans lequel se trouvent jetés Inès, une jeune fille de 12 ans, vive et au fort caractère, son frère ainé Tristan, un garçon sensible et bègue, que le quotidien inquiète et agresse régulièrement, et leur chien Pégase.

Qu’est-ce que Bordeterre ?

C’est au travers d’une faille qu’ils se retrouvent donc sur Bordeterre.
On découvre avec curiosité cette cité-monde composée d’un château dans lequel vivent les privilégiés, d’un lac étrange à l’eau noire qui renferme des créatures fantomatiques, d’une prison dans laquelle on a enfermé des rebelles, d’un moulin qui tourne grâce aux chants des enfants esclaves et d’un quartier plus pauvre où vivent ceux qui ne sont pas bien nés. On comprend donc assez vite que ce lieu ne sera pas idyllique. Et que son histoire est empreinte de révolutions sanglantes et d’inégalités sociales.

L’oubli et la mémoire sont deux grandes thématiques qui parsèment ce roman.
En effet, les nouveaux arrivés sont « lavés » de leur passé en ingurgitant une eau qui leur fait peu à peu perdre les souvenirs de leur ancien monde, et de leur famille.

Mais le vice ne s’arrête pas là : en plongeant dans le lac zéro, Inès est devenue Ignace Dulac par inadvertance à son arrivée lorsqu’elle est découverte par Adelphe, un cordier issu de la noblesse chatelaine. Elle oublie également son frère, lui aussi « inséré » dans la société de Bordeterre mais du côté des moins avantagés.

De plus, les dominants ont tout intérêt à ce que la population qu’ils dominent ne se souvienne pas trop de l’ancienne révolution qui a failli les renverser. Seuls certains personnages comme Alma, une jeune révoltée qui sort de prison et va se lancer dans la publication d’un journal révolutionnaire « le Débordement« , tentent d’entretenir le passé. Et d’informer le peuple sur les exactions commises par les chatelains.

A cela s’ajoute une réflexion sur les discriminations. En effet, la société est construite en strates sociales mais également en générations de « débordés ». Les nouveaux arrivés sont ainsi « transparents », ils n’ont pas encore l’opacité qu’ont les habitants nés à Bordeterre et issus de familles bordeterriennes depuis plusieurs générations. Mais la révolution couve et nos deux personnages vont y tenir un rôle important, chacun à sa manière.

Un roman de révélations

Car ce roman est aussi et surtout le roman des révélations. Chaque personnage découvre une part de lui-même qu’il ne soupçonnait pas. Ainsi, Tristan, timide et inadapté à la vie en société va devenir « Papa », le référent d’un groupe de rebelles. De son côté, Inès va découvrir l’envers du décor de la vie de chatelaine. Mais surtout la vérité sur les créatures qui vivent dans le lac zéro. Celles-ci évoquent d’ailleurs les esprits mystérieux issus de l’univers de Miyazaki.

Les personnages secondaires prennent également corps. Les fils de vie de chacun d’entre eux s’entremêlent pour créer une toile colorée. Alma découvrira l’amour, Adelphe l’empathie, Aïssa la vengeance.

Entre poésie et humour

L’écriture est pleine d’humour et de poésie. L’autrice a réussi a donner à chaque personnage un langage fleuri et vivant. Mais aussi à créer un rythme grâce à des passages mis en page par des espaces blancs et des retours à la ligne qui donne à certains mots l’aspect de vers.

«  Elle inspira par le nez comme on lui avait appris. Expira par la bouche. Vida son esprit. Au fond, 

rien

n’était grave. 

Tout était bien.« 

Les mots prennent ainsi une force à laquelle vient s’ajouter le recours aux chansons et aux textes poétiques cités par les personnages pour créer leur magie.

Le pouvoir du chant

C’est en effet par le chant, contrôlé mais exploité par la Gouverneur (le personnage noir du livre), que les domestiques font leurs corvées, que les enfants font tourner le moulin ou que l’on soigne les blessés.

La lecture du livre est d’ailleurs précédée d’une « bande-son » conseillée par l’autrice pour accompagner la découverte des trois parties qui composent le roman. On retrouvera de nombreuses références musicales et poétiques à la fin de l’ouvrage. Les titres des chapitres sont des extraits de paroles ou de textes qui sont issus de la tradition, comme les comptines ou les fables de La Fontaine. Mais aussi de créations plus modernes telles que les chansons du groupe Fauve ou de Jean-Jacques Goldman.

Pourquoi lire Bordeterre ?

Entrer dans Bordeterre, c'est donc entrer dans un monde complexe et dense. On ne le quitte qu'à regret, la dernière page tournée, la dernière chanson sifflée. 
(Mots Tordus)

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