Ro est une peintre à succès en manque d’inspiration.
Pour y remédier, elle loue une maison marquée par une terrible rumeur.
Un fantôme hanterait l’immense bâtisse.
Loin d’être effrayée, Ro décide de s’adresser directement à ce soi-disant spectre.
Elle se moque de son manque de conversation ou du fait qu’il ne lui rapproche pas son verre de vin.
Jusqu’au jour où le « fantôme » décide d’entrer en contact avec la jeune femme…
Ténèbres et romance
Skottie Young et Jorge Corona, le duo créatif de Middlewest, se retrouvent pour un one shot aux accent de romance fantastico-horrifique.
Loin de la multitude de personnages et de l’univers fantaisie de leur oeuvre précédente, Celui que tu aimes dans les ténèbres se concentre sur la relation que va entretenir Ro avec « le fantôme ».
Seul Attison, le manager de Ro, viendra se rajouter à ce casting restreint vivant aussi dans une unité de lieu limitée : celui de la maison « hantée ».
Ainsi les deux auteurs prennent leur temps pour se pencher sur cet amour hors norme.
Cette romance rappelle, par ce fond fantastique, la Forme de l’eau de Guillermo Del Toro. Sauf qu’ici le monstre est peut être bien celui que l’on croit.
Son « colocataire » va lui permettre d’échapper à cette pression et lui servira même de modèle pour un portrait qui résume la façon dont elle conçoit le visage de celui dont elle tombe amoureuse.
Un visage flou, au trait éthéré, et qui, d’une certaine façon, symbolise l’être parfait pour elle : un être qui n’existe pas.
D’abord effrayée (qui ne le serait pas ?), elle se laisse petit à petit aller dans les bras de cet « inconnu » dont elle ne sait rien.
Et l’idylle est merveilleuse.
Les amoureux apprennent à se découvrir, à partager et à s’aimer sans aucun compromis.
La créature, qui semble très attachée à Ro, respecte ses demandes et ne profite à aucun moment de la situation.
Mais la passion est aussi forte qu’elle est brève …
Horreur et ténèbres
Le scénario de Skottie Young est implacable.
Chapitre après chapitre, la relation de Ro avec son étrange amant suit l’évolution classique d’un couple vivant leur amour de façon intensive et rapide.
Ils passent de la découverte à l’attachement, de l’attachement à l’amour, de l’amour à la passion et de la passion à… la haine.
Cette évolution est au final assez prévisible tant l’auteur joue avec la tension de son récit.
Que ce soit les premières apparitions du fantôme en fond de case ou ses éclatements de fureur sur les derniers chapitres, le monstre était tapi dans l’ombre.
En cela, le dessin de Jorge Corona joue un rôle primordial.
Il insuffle une ambiance angoissante qui transpire dans chacune de ses cases, tout en jouant avec un aspect horrifique qu’il maîtrise à la perfection.
Les couleurs de Jean-François Beaulieu enfoncent le clou avec des tonalités sombres où la lumière n’a que de brèves apparitions.
Mais au fond, de quoi parle Celui que tu aimes dans les ténèbres ?
Si on se contente simplement de sa thématique, ce comics est une romance horrifique.
Cependant, ceux qui ont lu Middlewest savent que Skottie Young et Jorge Corona aiment aborder des thématiques de société à travers des récits de genre.
Middlewest décrivait au fond la lutte d’une enfant contre une violence héréditaire (celle d’un père qui l’avait subie lui-même d’un grand père).
Celui que tu aimes dans les ténèbres s’attache lui à une autre violence : celle à l’intérieur d’un couple qui se déchire et d’un « homme » qui cherche à imposer sa loi à sa femme sous prétexte de leur amour.
Avec le temps, la relation entre Ro et son étrange amoureux s’étiole. La passion s’atténue, Ro commence à s’ennuyer, veut reprendre le travail et sortir prendre l’air.
La jalousie prend la place de l’amour, la colère celle de la passion.
Jusqu’à ce que l’irréparable soit commis.
Mais si toute cette histoire n’avait rien à voir avec la réalité ?
Un pur récit fantastique ?
The me you love in the dark a été traduit par Celui que tu aimes dans les ténèbres.
Une autre version était possible : La part de moi que tu aimes dans les ténèbres.
Les récits fantastiques ont un règle assez difficile à mettre en place : le lecteur ne doit jamais trancher sur la réalité de ce qu’il lit ou voit.
Un concept encore plus complexe à tenir quand on est sur un format visuel comme celui-ci.
Et pourtant, on pourrait voir cette histoire de couple qui se dégrade d’une toute autre façon.
Ro est un personnage fragile qui boit plus que de raison.
Frustrée de ne pas réussir à créer, elle cache en elle une colère profonde qui peut exploser à tout moment.
Le fantôme apparait justement après une de ses colères.
Un être qu’elle est la seule à percevoir dans un environnement où elle vit isolée.
Or, une question se pose.
Est-ce que cette créature n’est pas le simple fruit de son esprit ?
N’est-ce pas un moyen pour elle de faire face à son manque d’inspiration mais aussi à sa solitude ?
Hormis Attison, qui lui met la pression, elle ne semble pas avoir d’amis.
Et cette pression, elle ne la supporte plus vraiment. Peut être est-ce même la véritable raison de son isolement ?
Et donc plutôt qu’une romance horrifique, on aurait le récit d’une femme qui perd complètement pied, un peu comme dans le Horla de Guy de Maupassant.
Cette interprétation, personnelle et peut être fausse, amène une vision radicale sur la violence des 2 derniers chapitres.
Et si le monstre n’était pas celui que l’on croit au final ?
En résumé
Celui que tu aimes dans les ténèbres est un récit puissant, oppressant et aux multiples ramifications.
Skottie Young s'empare du genre avec brio en y mêlant romance, horreur et introspection.
Les interprétations sont multiples et rendent l'œuvre encore plus riche.
Jorge Corona par son style acéré retranscrit à merveille cette tension qui monte crescendo.
Une belle réussite.
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