Mots Tordus et Bulles Carrées

Colorado Train (Alex W.Inker)

Note d’intention sur Colorado Train

Quand nous avons créé ce site avec Mots Tordus, nous avions en tête d’offrir un regard varié sur la littérature jeunesse, adolescente et young adult en passant autant par le roman que par les albums, documentaires et bien sûr la bande dessinée.

Colorado Train m’a posé un cas de conscience.
L’album de Alex W. Inker est tiré du roman éponyme de Thibault Vermot.
Et disons que la réputation de l’oeuvre nous met en garde par rapport
à son ambiance âpre et brutale.
Ce qui semble d’ailleurs avoir creusé un fossé entre ceux qui ont adoré cette lecture et les autres qui ressortent choqués par le livre.

Et pourtant, c’est aussi ça la littérature adolescente … Une littérature qui bouscule.
Et ce n’est pas la première fois qu’elle le fait.
Ne citons que Junk de Melvin Burgess pour prouver qu’elle peut même aller encore plus loin dans la confrontation de l’adolescence face à la dureté de la réalité.

Voilà pourquoi une chronique de Colorado Train (au moins pour l’adaptation d’ Alex W. Inker) me semble nécessaire même si je me devais de mettre en garde de futurs jeunes lecteurs.

Sarbacane mentionne que ce roman graphique est « tout public ».
Chez nous, vous le trouverez plutôt dans la catégories des +16 ans
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne peut pas être lu par des lecteurs plus jeunes, prêts à affronter l’horreur sordide de Colorado Train.

A partir du moment où ils se sentent prêts !

Une bande d’adolescents aux prises avec la violence

Des ados face à l’impensable

Tout commence avec cette bande d’ados.
Donnie, Michael et Suzy aiment le skate mais beaucoup moins Moe, la petite brute du quartier qui en fait baver surtout à Donnie, le traitant de « p’tit gros ».
Durham, jeune gamin sans domicile, se joint à eux après avoir tenu tête à leur « ennemi ».
Cependant quand l’école reprend, Moe disparaît de la circulation.
Les ados, d’abord ravis, décident de mener l’enquête sans imaginer réveiller les instincts voraces d’une « créature » tapie dans l’ombre.

A première vue, Colorado Train pourrait être un récit adolescent classique mettant en scène une bande d’amis un peu à la marge, se retrouvant confrontés à des choses qu’ils ne comprennent pas.
Contrairement au roman d’origine qui se passait à la fin de la seconde guerre mondiale, l’adaptation d’Alex W. Inker se déroule dans les années 90 et multiplie les références notamment en proposant des titres de chansons à chaque ouverture de chapitre.
On pense aussi, pêle-mêle, aux Goonies, à Strangers Things mais aussi à certains romans de Stephen King.

Cependant, s’il y a bien une chose qui différencie les ados de Colorado Train de ceux cités plus haut, c’est leur rapport à la violence du réel.
Loin d’être édulcorée, elle fait même partie du quotidien de Donnie, Michael, Suzy et Durham.
Chacun d’entre eux a vécu une histoire difficile qui cache une douleur derrière cette bonhommie de façade.
Ce qui est intéressant dans l’approche d’Alex W. Inker ( et sans doute de celle de Thibault Vermot), c’est qu’il n’y a pas une once de jugement ou de morale.
Pour ces gamins, ce qu’ils vivent fait partie de leur quotidien.
Prenons l’exemple de la drogue avec notamment cette scène où Durham est en pleine crise de manque.
Ses amis n’hésitent pas une seconde à lui venir en aide sans jamais porter aucun jugement.
Ils connaissent les ravages de cette substance, ils ne la valorisent pas pour se rendre cool mais ne ne critiquent pas pour autant ceux qui la consomment.
Cela fait partie de leur monde autant que l’alcool ou la brutalité de Moe.

C’est un peu la même chose à propos de la relation entre Suzy et son père.
On ne sait pas trop jusqu’où est allé le père de Suzy.
A-t-elle été abusée ? Quelques images pourraient nous le faire croire et pour autant Suzy n’en parle jamais. Elle l’évite mais saura faire appel à lui, au moins une dernière fois.
Est-ce pour autant un signe de rédemption pour le père ? L’auteur semble donner sa réponse.

Colorado Train ou L’impossible rédemption

La symétrie dans colorado train

Petit à petit, l’horreur va prendre un autre aspect.
Dans une scène, Durham cite le Wendigo, cette créature légendaire qui dévore les êtres humains.
Chez le tueur auquel ils vont être confrontés, c’est cette image qu’il faut retenir.
Il y a quelque chose d’inhumain dans ses crimes et malgré ceux qu’ils ont subis, eux mêmes, ils ne peuvent s’attendre à un tel « monstre ».
C’est une horreur qu’ils ne peuvent pas comprendre (et qui malgré tout aura son explication, aussi glauque soit-elle).
Par certains aspects, on y retrouve aussi toute l’imagerie de l’ogre : le monstre qui dévore les enfants.
Colorado Train, c’est aussi ça.
Un polar glauque qui puise son imagerie dans les contes ou les légendes.
Sauf que le monstre est non seulement bien réel mais, en plus, terriblement humain.

La dernière partie est d’ailleurs la plus choquante de ce point de vue.
Alors que des personnages recherchent leur rédemption, que d’autres prennent leur courage à deux mains pour affronter l’innommable, aucune échappatoire ne semble possible et les scènes chocs s’enchainent sans que le lecteur n’ait aucun moment pour reprendre son souffle.

Et cette fin … Il est assez dur d’en parler sans spoiler mais elle pose de nombreuses questions.
Les interprétations semblent diverses, notamment sur le sort de certains personnages mais elle démontre bien que récit reste jusqu’à la fin sans concession, ne laissant même pas un petit passage pour laisser passer une quelconque morale.

La puissance d’un dessin noir et blanc majestueux

La neige à la sauce Alex W. Inker

Depuis le début de sa carrière, Alex W. Inker nous habitue aux prouesses graphiques.
On le pensait déjà au top avec son album Un travail comme les autres mais il prouve ici qu’il peut taper encore plus fort.

A l’image de son récit, son trait est lui aussi sans concession : noir de chez noir.
Son dessin charbonneux et viscéral sert l’atmosphère poisseuse voire ténébreuse de son adaptation.
Sa maitrise est quasi sans faille avec des scènes de nuit ou de neige absolument bluffantes.

Si vous aimez autant le noir et blanc que moi, vous vous régalerez.
Pour moi, Colorado Train c’est un peu le Blast d’Alex W. Inker : un chef d’oeuvre graphique qui côtoie les grands maîtres du dessin noir et blanc.

En résumé

Colorado Train est autant un coup de coeur qu'un coup de poing dans le ventre. 

Alex W. Inker tape fort avec cette adaptation sans concession d'une histoire où la réalité côtoie l'horreur.
Si on se doit de mettre en garde les lecteurs plus sensibles, il ne faudrait pas pour autant empêcher les autres de découvrir sans doute une des meilleurs oeuvres de 2022.

Un roman graphique qui risque de vous couper le souffle autant par ses choix scénaristiques que graphiques.

N°1 du Top bd franco-belge 2022 de MTEBC

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