Planté au sommet du commissariat central, le Batsignal ne doit être utilisé qu’en cas d’extrême urgence.
Certains flics du Gotham Central aimeraient qu’il reste éteint mais la folie qui gangrène Gotham City les oblige à outrepasser leur serment.
Que peuvent faire de simples policiers face à Freezer, Double Face ou au Joker ?
Flic de Gotham City
Les coulisses du Gotham Central
Dans un passé lointain, j’ai été un gros consommateur de séries policières.
De Homicide à The Wire, outre les enquêtes, les coulisses souvent chaotiques de ces commissariats me passionnaient.
Gotham Central du duo Ed Brubaker et Greg Rucka, accompagnés au dessin par Michael Lark, s’inspire de cette idée : raconter les longues journées de ses héros ordinaires.
À ceci près que les criminels sont Freezer ou Double Face !
En effet, la série se place pleinement dans la continuité de Dc comics mais son traitement se veut plus réaliste et agrémenté d’une tension constante.
Il faut dire que les scénaristes, Ed Brubaker et Greg Rucka sont des spécialistes du polar.
Si leur biographie n’est pas encore celle qu’on leur connait, les auteurs font preuve d’une expérience déjà solide, ce qui leur permet de proposer un ton et des idées novatrices.
Et d’une certaine façon, s’intéresser davantage aux seconds rôles qu’au premier est une certaine prise de risque dans le monde balisé des comics mainstream.
En effet, si Batman reste le héros, ce sont les flics qui se retrouvent en première ligne.
Certains d’entre eux ne sont pas des inconnus.
Si le commissaire James Gordon vient d’annoncer sa retraite, on retrouve avec plaisir Renée Montoya qui depuis, comme on peut le voir dans Batman Nocturne, est passé de l’autre côté de la ligne.
Entre vétérans et nouveaux arrivants, la série fait la part belle aux relations parfois contrastées entre chaque binôme.
Histoire d’amour, amitié, jalousie, deuil et secret inavouable, les membres vivent des moments souvent forts en émotion.
Ainsi la tragédie est au rendez-vous, cela dès le premier épisode, montrant les risques au quotidien pris par ces policiers.
Là aussi, on a déjà les prémisses de ce qui fera le style de chacun d’entre eux.
Greg Rucka écrit des personnages féminins qui derrière leur carapace cachent de nombreuses fêlures.
Renée Montoya en est le fer de lance, même si elle n’a rien à envier au Capitaine Margaret Sawyer.
Ed Brubaker apporte son expertise du genre. Il a débuté dans le comics policier et en maitrise le moindre de ses codes.
Ainsi Gotham Central est parsemé de scènes d’un réalisme sidérant autant sur les phases d’enquêtes, d’interrogatoire ou lors des interventions.
D’ailleurs, certaines d’entre elles semblent avoir inspiré le Batman Dark Knight de Christopher Nolan.
L’impossible confrontation
Et c’est là toute la fatalité de leurs actions.
En effet, Gotham City n’est pas une ville ordinaire et y être flic n’a rien à voir avec Metropolis.
Ce n’est pas le même genre de protecteur, ni le même type de super vilains.
Et paradoxalement, si Harvey Dent ou le Joker n’ont pas de super pouvoirs, ils n’en sont pas moins dangereux.
Bien au contraire !
À l’image d’un baron de la mafia ou d’un tueur en série, ils symbolisent une noirceur bien réelle mais déformée par le prisme de Gotham City.
Et forcément, les premiers à subir cette violence, ce sont les policiers eux-mêmes.
De façon logique, les rapports entretenus avec Batman ne peuvent qu’être tendus.
Son attitude et la violence de ses actions rentrent en confrontation directe avec le serment d’un policier.
Cette collaboration n’est que le signe de l’impuissance de la police face aux monstres engendrés par cette société.
Et on peut le comprendre, certains refusent de l’accepter !
Cependant seul un monstre peut venir à bout d’autres monstres.
Et c’est peut être là toute la malédiction de Gotham City et de ses protecteurs !
Une approche graphique réaliste
Pour illustrer la froideur de cette ambiance, le comics ne pouvait être traité de façon « classique ».
La série devait rompre avec l’extravagance du genre pour proposer une ambiance plus terre à terre.
D’une certaine façon, Gotham Central est le petit rejeton de Batman : année un.
Et qui de mieux que Michael Lark pour prendre le flambeau de David Mazzuchelli ?
Ici, ce n’est pas particulièrement la violence qui marque les esprits mais son traitement quasi clinique .
Michael Lark, qui deviendra par la suite un collaborateur régulier d’Ed Brubaker sur Daredevil et de Greg Rucka sur Lazarus, opte pour un style brut, incisif et un encrage gras et percutant.
La mise en page est sobre, presque cinématographique, accentuant là aussi cette sensation de réalisme.
Les couleurs font preuve de sobriété, adoptant des ambiances ternes et froides.
Si Michael Lark ne restera pas le seul dessinateur de la série, il aura posé les marqueurs graphiques pour les artistes suivants.
En résumé
Gotham Central de la team Ed Brubaker / Greg Rucka / Michael Lark est une oeuvre charnière du comics américain.
Cette série brillante, qui loin de nous ménager, nous met à la place de ses héros du quotidien face à des criminels surhumains.
Se concentrant sur l'équipe et non sur le héros de Gotham City, les auteurs écrivent des scénarios réalistes, sombres, où l'humanité est confrontée à une tension permanente.
Les enquêtes amènent ces policiers à se confronter à des psychopathes hors normes et à devoir collaborer, bon gré mal gré, avec un justicier qui sort du cadre de la justice.
Les émotions transpercent ce récit où l'on frôle la tragédie constamment.
Le dessin de Michael Lark renforce cette ambiance presque suffocante.
Série devenue culte avec le temps, elle n'a pas trouvé son succès à l'époque et dut s'arrêter prématurément.
Elle reste néanmoins une des premières séries à s'attarder sur l'impact qu'ont les héros et les vilains sur la vie du commun des mortels.
Prix et récompenses
- Eisner Award – meilleure histoire publiée sous forme de feuilleton pour Half a Life (Gotham Central #6-10) – 2004
- Harvey Award – meilleur épisode ou histoire pour Half a Life – 2004
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