Mots Tordus et Bulles Carrées

Top 10 (Alan Moore / Gene Ha / Zander Canon)

Robyn Singer, alias ToyBox, arrive pour la première fois à Néopolis, une ville entièrement composée de super-héros.
Elle doit y intégrer le 10eme commissariat, plus connu sous le nom de Top 10.
Ainsi, en binôme avec le taciturne Smax, elle enquête sur des affaires plus extraordinaires les unes que les autres.

Flic et super-héros

L’effervescence de la fin des années 2000

À l’image du Planetary de Warren Ellis et John Cassaday, les années 2000 sont une période propice à la créativité.
Et dans cette folle effervescence, Alan Moore tient une place particulière.
Des années auparavant, le scénariste (entre autres) de Watchmen, après de multiples brouilles avec DC comics, disparaît de la circulation.
Il pensait, à cette époque, mettre un terme à sa carrière avant de trouver refuge au sein d’un tout nouvel éditeur indépendant : Image comics.
Et c’est essentiellement à l’intérieur du label Wildstorm studios de Jim Lee que vont émerger quatre oeuvres majeures : La ligue des extraordinaires gentlemen, Tom Strong, Promethea et Top Ten ( America Best’s Comics ).

Une période faste qui malheureusement tournera court avec le rachat de Wildstorm par Dc comics.
La haine que voue Alan Moore à l’éditeur américain l’amène à claquer la porte du studio en mettant un terme à la plupart de ses séries.

L’avenir de Top Ten s’achèvera donc après seulement 2 saisons ( dont une seule écrite par son créateur) et 2 mini séries.
Malgré tout, Top Ten reste une des oeuvres marquantes de cette fin des années 90 / début 2000.

Le verbe d’Alan Moore

Crise cosmique entre chats et souris

Contrairement aux autres projets d’ABC, Top 10 a été écrit comme une série télévisée.
D’ailleurs, sa source d’inspiration n’est autre qu’un classique du show policier à l’américaine : NYPD blue .
Sauf qu’ici, les flics ont des super pouvoirs.
On y retrouve l’ambiance du commissariat, agrémentée d’enquêtes menées tambour battant.
Le rythme est élevé et passe d’une affaire à l’autre avec une facilité qui peut, au départ, déconcerter.
Si la recherche d’un tueur en série sert de fil rouge, les affaires connexes n’en sont pas moins importantes.
Certaines d’entre elles gagneront en importance en participant à l’élaboration d’une trame centrale où les manipulations éclateront au grand jour.

Le récit s’amuse avec la mythologie de ses concurrents, tout en démontrant sa connaissance du média et du monde culturel en général.
La scène avec les super souris contre les supers chats est un astucieux mélange de grotesque et de cosmique. 
Rien n’est impossible à Néopolis et même les super-héros peuvent en prendre pour leur grade.
En effet, à quoi peuvent-ils servir dans un monde où les policiers ont eux aussi des pouvoirs ?
Les policiers du Top 10 sont, a priori, les plus aptes à faire respecter la loi, même face aux plus grandes divinités.

J’ai souvent considéré Top Ten comme le comics le plus abordable d’Alan Moore.
Moins codifiée que Tom Strong, moins référencée que la Ligue des extraordinaires Gentlemen et moins cryptique que Promethea, le propos de la série n’en reste pas moins profond.
L’écriture d’Alan Moore, connu pour sa prose, prend ici toute sa résonance.
C’est foisonnant, par moments grandiloquent tout en laissant place à un humour pince sans rire très agréable.
L’émotion ne sera pas absente non plus comme le montre un des meilleurs épisodes de la série, sorte de stand alone, racontant l’impuissance de l’agent Cathy Colby lors d’un « accident de la route ».

Certains trouveront son style verbeux mais l’auteur a toujours donné une place particulière à l’écriture dans ses comics, sans pour autant tomber dans les errements narratifs des années 70/80.
Et de ce point de vue, Top Ten ne déroge pas à la règle.

Un casting prestigieux

Vie privée pour superflics

Si l’intrigue principale de Top 10 est haletante, inattendue et parfaitement maitrisée, elle ne serait rien sans ses personnages.
Déjà, leur nombre est conséquent. 
Au départ, la série se concentre sur la nouvelle recrue, Robyn, mais on découvre petit à petit tous les autres membres du commissariat.
Chacun d’entre eux est traité à égalité avec un caractère et une vie propre.
Alan Moore a créé un groupe varié auquel on s’attache rapidement.
Si leur vie citoyenne est légèrement évoquée pour certains, ce sont les relations entretenues qui fait tout le charme du comics.
Fonctionnant en duo, on sent un réelle coalition entre chaque groupe, malgré de fortes disparités de caractère.
Robyn n’y échappera pas, même si elle apprendra petit à petit à connaitre son mystérieux coéquipier Smax.
Alan Moore s’amuse d’ailleurs avec nos pré-requis.
Duane en est le meilleur exemple.
Avec son look de yankee, on ne l’image pas être le petit fils à sa maman ou réprimer les remarques racistes de son jeune coéquipier Peter.

Au final, Top 10 est un échantillon de la société.
Animal, homosexuel, catholique, mère de famille, vieux garçon ou aide à domicile, l’humanité réussit à transparaître malgré le cynisme du monde qui les entoure.

Un dessin foisonnant

des spectateurs prestigieux

Top 10 est un univers immensément riche.
Et l’approche de Gene Ha se devait d’être au diapason des idées complètement folles de son scénariste.
Si le dessinateur de Wonder woman : historia, a depuis largement édulcoré son trait, il fait preuve ici d’un excès graphique qui confine au chef d’oeuvre.
Chaque page est un fourmillement de détails et autres clins d’oeil qui, par moments, peut virer à l’overdose.
Il faut avouer que niveau easter eggs, les deux auteurs se font vraiment plaisir.
Si certains viennent du cerveau d’Alan Moore, d’autres sortent directement des crayons de Gene Ha qui s’amuse à dessiner des personnages aussi éclectiques que ceux d’Ulysse 31 ou du panthéon mythologique.
D’ailleurs, en caricaturant parfois leur apparence, il amène une certaine fantaisie à l’ensemble.

L’encrage assuré par Zander Canon, qui se retrouvera par la suite artiste complet sur la mini-série Smax, enfonce le clou avec un traitement massif et des effets de textures riches.

Cependant, il faut avouer que cette générosité graphique peut, par moment, nuire à la lisibilité voire étouffer certaines cases.
D’ailleurs, il n’est pas sûr que le format Nomad convienne totalement et il risque de perdre l’oeil du spectateur dans un maelström de détails.
Malgré tout, je garde une certaine sympathie pour le travail acharné de Gene Ha.
Par la suite, il affinera son trait en prenant une direction presque inversée.
D’ailleurs, sa dernière réalisation pour le titre, consacrée aux origines de Neopolis, sera bien plus sobre.

En résumé

Top 10 d'Alan Moore et Gene Ha est un des grands comics de la fin des années 90, début 2000. 

Moins nostalgique que Tom Strong et plus abordable que Prométhéa, Top 10 offre un divertissement haletant teinté d'une réflexion sur le monde des super-héros.
Les nombreux personnages sont parfaitement caractérisés et apportent de l'humanité à un monde exubérant et grouillant de vie.

Le trait de Gene Ha est bourré de détail, parsemant sur chaque page de multiples easter eggs.
Si cette richesse nourrit la générosité de l'oeuvre, elle démontre aussi certains excès qui peuvent nuire à la lisibilité de l'ensemble (notamment en format Nomad).

Une oeuvre à (re)découvrir
.

Prix et récompenses

  • Prix Eisner de la meilleure nouvelle série – 2000
  • Prix Eisner de la meilleure série – 2001
  • Prix Eisner du meilleur album pour The Forty-Niners – 2006

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